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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Chroniques
Les forts sont doux : Joseph et Laure


Par Antoine BOULAD
2008 - 12
Tout commence le jeudi 29 mai 1947. Étudiants en droit à la rue Huvelin, Laure et Joseph Moghaizel se rencontrent lors d’une manifestation « contre des élections législatives qu’ils jugent truquées », lui, étendu, tête bandée, elle, ayant « décidé d’apporter du soutien aux blessés » ; « ils se serrent la main pour la première fois », scellant leur destin avec une obstination exemplaire et une fidélité à toute épreuve, eux, les militants des droits des hommes et des femmes, « les rêveurs pragmatiques » d’un Liban laïc et démocratique, qui vont lutter, leur vie durant, pour que l’on vive mieux, abrogeant des lois iniques et discriminatoires notamment à l’égard des femmes, refusant à la violence droit de cité, « désobéissant à la guerre », jusqu’à cet autre 29 mai, quarante-deux ans et des années-lumière après, où il s’éteint au moment de prendre ses fonctions au ministère de l’Environnement et qu’elle le suive dans la mort, deux plus tard, elle que le cancer avancé, au dire des médecins, aurait dû emporter longtemps auparavant !

D’une écriture dense et incisive, immédiate et fulgurante à force de simplicité, d’une écriture qui semble faire « durer l’éclair », Nada Moghaizel donne à l’amour filial une dimension légendaire, avec un sens troublant de l’essentiel, comme si elle évoquait des héros de l’Antiquité parlant de ses parents bien vivants, avec les mots de tous les jours, avec les mots de toute la vie et bien de chez nous.

Joseph et Laure n’est pas uniquement une biographie, ni uniquement un témoignage, mais de l’amour à l’état pur de la part d’une enfant qui « aurait aimé être tranquille comme les gens désespérés » mais ne le peut puisqu’elle reçoit l’optimisme en héritage. Et le bonheur, malgré tout. De la part d’une enfant qui a forgé une écriture semblable à ses parents, « forts et doux » selon cette parole d’Évangile que cite Nada Moghaizel. De la part d’une enfant dont le plus beau cadeau reçu en héritage est un manque total de hiérarchie grâce auquel le choix des habits que l’on décide de porter se confond avec « la manière d’être au monde », où les bonbons à la menthe égrenés par ses parents sur le chemin d’exil du Petit Poucet sont des signes d’amour autant que cette longue marche, du Nord au Sud, du 12 au 15 octobre 1987, ou cette retraite aux flambeaux du 21 novembre sur la ligne de démarcation entre les deux parties de Beyrouth. Dans ce long poème « hors normes », l’attention accordée au choix d’une belle cravate relève de la même exigence que la démarche de Joseph qui réussit en 1990 à faire figurer dans le préambule de la Constitution libanaise, au nom de l’association, l’adhésion du Liban à la Déclaration des droits de l’homme.

 
 
© An-Nahar
 
BIBLIOGRAPHIE
Joseph et Laure de Nada Moghaizel-Nasr, Dar an-Nahar.
 
2020-04 / NUMÉRO 166