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Chroniques
Une expérience physique et métaphysique
Philosophe, normalien, Éric-Emmanuel Schmitt est entré dans le Sahara athée et en est ressorti croyant.

Par Lamia el-Saad
2016 - 01
Alors qu’il était encore jeune professeur de philosophie, s’essayant à l’écriture, Éric-Emmanuel Schmitt se rendit dans le désert algérien sur les traces de Charles de Foucault, pour les besoins d’un film à écrire. Il dira par la suite qu’il n’était pas le moins du monde prédisposé à recevoir une révélation, qu’il n’était pas « le bon client ». Athée pétri de certitudes, il avait intégré un groupe de touristes et de pèlerins pour des raisons strictement professionnelles. Il eut très vite une discussion des plus argumentées avec la catho du groupe sur l’existence de Dieu. Discussion à laquelle il mit un terme par un étrange défi : « S’il me cherche, qu’il me trouve ! »

Peu de temps plus tard, il s’éloigna imprudemment et se perdit dans le Hoggar algérien. Privé d’eau et de nourriture, légèrement vêtu, il creusa un lit dans le sable (comme on creuse sa propre tombe…) pour se protéger du vent glacial des nuits de février. Ainsi ensablé, le corps engourdi par le froid, il pensait vivre la nuit la plus longue de sa courte vie. Ce qu’il vécut cette nuit-là, il l’exprimera par des métaphores, les mots n’étant pas faits pour dire l’indicible. 

Le lendemain matin, il n’était plus le même homme. Toujours en sursis mais étrangement heureux, il reprit la route : « Je mourrai croyant et serein ou je vivrai croyant et serein. » Sa foi toute neuve lui apportait une nouvelle sérénité face à la vie mais aussi face à la mort désormais perçue comme quelque chose « d’utile et de merveilleux ». Par sa foi toute neuve, il savait : « Tout a un sens. Tout est justifié. » Jadis athée, il déclare aujourd’hui « habiter le mystère avec confiance : Maintenant, quand je ne comprends pas, je fais crédit ». Une force s’était révélée à lui sans se nommer, mais Schmitt ne tardera pas à la nommer Dieu. Un Dieu indéfini ; son expérience fut spirituelle mais non religieuse.

Dès lors, sa foi « n’a cessé de croître » et sa vie ne fut qu’une quête permanente principalement enrichie par la lecture des poètes mystiques. Son récit s’achève par ces mots : « Tout commence. » Selon lui, « les amis de Dieu ne sont pas ceux qui parlent en son nom mais ceux qui le cherchent ». Et pour chercher Dieu, y a-t-il un endroit plus propice que le désert, si présent dans l’Ancien et le Nouveau Testament ? « Pays d’apatrides (…), pays des vrais hommes qui se défont des liens (…), pays de Dieu. »

Il revient donc à l’homme de chercher Dieu mais… lequel des deux trouve l’autre ? Charles de Foucault, noceur, mondain, avait connu une révélation mystique à l’âge de 28 ans. Schmitt avait 28 ans et se trouvait au pied du mont Tahat dont le nom signifie « colonne du ciel ». 

Sans doute est-ce une rencontre à mi-chemin, la rencontre de deux volontés : « Le plus surprenant dans une révélation, c’est que, malgré l’évidence éprouvée, on continue à être libre (…). Libre d’en produire une lecture réductrice. Libre de s’en détourner. Libre de l’oublier. Je ne me suis jamais senti si libre qu’après avoir rencontré Dieu, car je détiens encore le pouvoir de le nier (…). La force de Dieu n’annihile pas la mienne. »

L’auteur cite Pascal : « Dieu s’éprouve mais ne se prouve pas. » Schmitt ne fait preuve d’aucun prosélytisme ; se présente comme un simple témoin et déplore (peut-être à tort…) le fait de n’être pas contagieux. C’est également Pascal qui inspire le titre de ce livre. Ayant eu, lui aussi, sa propre nuit mystique, le 23 novembre 1654, il porta sur lui et jusqu’à son dernier jour, caché dans la doublure de sa veste, le récit sibyllin de cette « nuit de feu » ; récit qui ne fut découvert qu’après sa mort. 

Schmitt, lui, conserva son merveilleux secret durant 25 ans. Dramaturge, nouvelliste, romancier et réalisateur, auteur de plus de 40 œuvres, il n’avait, jusque-là, jamais écrit à la première personne. Mais pour donner son véritable poids à cette histoire, il était essentiel de révéler qu’elle est vraie et qu’elle est sienne.

L’auteur d’Oscar et la dame rose, de Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, de Concerto à la mémoire d’un ange, de La Nuit des Oliviers et de L’Évangile selon Pilate avoue volontiers : « Je vis et j’écris à partir d’un lieu, mon âme. Or celle-ci a vu la lumière – et la voit encore, y compris à travers les ténèbres les plus charbonneuses. »

Voici donc enfin le récit qui explique la part de lumière, l’amour de la vie et la paix qui émanent de l’ensemble de l’œuvre d’Éric-Emmanuel Schmitt.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
La Nuit de feu de Éric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel, 2015, 192 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166