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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Jean-Claude Perrier
2017 - 10


Au moment où s’ouvre à l’Institut du monde arabe, à Paris, l’exposition Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire, fruit d’un partenariat entre l’IMA et L’Œuvre d’Orient, rencontre avec Vincent Gelot, qui travaille à l’antenne de l’association à Beyrouth, en charge des réfugiés, et dont le périple délirant à la rencontre des communautés chrétiennes, au Moyen-Orient, à travers l’Asie centrale et une partie de l’Afrique, est une des composantes importantes. Le Livre d’Orient, avec tous les témoignages qu’il a recueillis, et sa voiture, une antique 4L, y sont exposés.

«?La foi, dit la sagesse populaire, peut transporter des montagnes.?» Elle peut, en tout cas, bouleverser une destinée, transformer un banal étudiant en vrai baroudeur, lui faire prendre conscience d’un certain nombre de réalités, et l’inviter à s’installer en Orient, à faire sa vie au Liban. C’est en 2012 que Vincent Gelot, 23 ans à l’époque, un jeune Nantais, catholique «?sans plus?», découvre les chrétiens d’Orient. Après un parcours scolaire «?en dents de scie?» et un échec au concours de recrutement de l’école militaire de Saint-Cyr, ce passionné de photo entreprend un master 2 à Sciences Po Aix sur «?les photographes de l’Afghanistan en guerre?» et un master 1 de droit humanitaire à Nice, dont l’un des semestres l’amène à Beyrouth, pour la première fois. Là, rue de Damas, il voit «?cette myriade d’églises chrétiennes, de tous les rites?». Puis les réfugiés chrétiens qui ont fui l’Irak, Bagdad ou Mossoul, et dont le sort le «?touche profondément?». En septembre, la venue du pape Benoît XVI au Liban lui apparaît comme un signe. Il décide de partir à la rencontre de ces communautés chrétiennes du Moyen-Orient, puis de l’Asie centrale ex-soviétique, jusqu’en Afghanistan, et d’une partie de l’Afrique, Éthiopie, Égypte, parfois sereines, souvent menacées, voire martyres comme les coptes. 

Il monte un dossier pour trouver des fonds et des soutiens, en vain, à l’exception de L’Œuvre d’Orient, justement. En solitaire, il se lance dans «?un voyage initiatique à l’ancienne?», 60 000 kilomètres dans des conditions extrêmes, au volant de sa 4L Renault vintage baptisée «?habibimobile?», «?la voiture de l’amour?». Un véhicule rustique, modeste, qui suscite immédiatement la sympathie, digne descendante de la Topolino de Nicolas Bouvier. Un igloo en hiver, un hammam en été. Sans compter les pannes. De Beyrouth à Jérusalem, pour la visite d’un autre pape, François, soit de l’automne 2012 à mai 2014, Vincent Gelot a accompli son vœu, sans faiblir. À son bord, outre son matériel photo, un objet exceptionnel, Le Livre d’Orient. Un gros volume fabriqué spécialement par des dominicaines en Bourgogne, afin de recueillir les témoignages, écrits, dessins, photos, de tous les chrétiens rencontrés durant le voyage. François lui-même, finalement croisé à Rome en 2014, en a rédigé une page?: «?Je rends grâce pour ces témoignages de l’Église en Orient, une Église qui a donné tant de saints, et qui souffre aujourd’hui.?» Le livre, émouvant, a souvent franchi les frontières en fraude, clandestinement. «?Au début, raconte Gelot, les gens hésitaient à y figurer, puis, au fur et à mesure, ils l’ont fait avec enthousiasme.?»

Après son retour en France, alors que Daech ravageait Mossoul, ou Ninive, il signe avec un éditeur, Albin Michel, pour un album très illustré qui raconte son voyage, Chrétiens d’Orient. Périple au cœur d’un monde menacé, et le rédige en accéléré, afin qu’il soit prêt pour l’exposition à l’IMA. Et puis il repart pour le Moyen-Orient, fin 2014. À Erbil, capitale du Kurdistan irakien, il anime la radio al-Salam, durant un an et demi. Aujourd’hui, il travaille pour L’Œuvre d’Orient et vit près de Jbaïl, avec femme et enfant. De son aventure, il n’est toujours pas revenu. «?C’était un rêve utopique, explique-t-il, avec Jérusalem, la Terre sainte, pour objectif final. Ni un pèlerinage, ni un reportage, un peu des deux, avec un côté funambule. Le projet, avec Le Livre d’Orient, m’a complètement dépassé. Et, bien sûr, j’en suis sorti profondément transformé.?» Cette aventure hors du commun, ce héros modeste devrait maintenant l’écrire, à tête reposée, dans un autre livre.


 
 
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