Par Hervé Bel
2019 - 07
Du romanesque, il
y en a assurément dans Les Arrogants, le dernier livre de Gabriel Boustany,
auteur dramatique et producteur de cinéma de renom. On y compte un suicide, une
servante dévouée, un prince turc, une dame de compagnie suisse, un pauvre
ambitieux… Et surtout la princesse Tasmine, l’héroïne. Elle est la fille de
l’émir Tarek Fakréddine dont la famille règne depuis le XVIIIe siècle sur un
domaine libanais qui, dans les années 30, n’est déjà plus que l’ombre de
lui-même, vendu pièce par pièce pour maintenir un certain train de vie.
Dès sa plus
petite enfance, Tasmine manifeste un caractère emporté. Elle est féministe, en
avance sur son temps. Déjà, elle sait «?qu’elle habitait son corps et qu’il lui
appartenait et lui appartiendrait exclusivement et pour toujours?». Bien que
princesse, ou plutôt parce qu’elle est princesse, Tasmine rejette bien
évidemment la «?suprématie de l’argent?». «?L’esprit de classe ne l’habitait
pas (…) Elle était la fille de son père.?» Son but?? «?Bousculer, heurter,
choquer, secouer cette pesanteur.?»
De fait, la
fillette n’a beau avoir que dix ans, elle est déjà pour son père «?la
légataire, la dépositaire de sa pensée révolutionnaire?». Car Tarek est un
nationaliste arabe, si dangereux pour les autorités françaises, qu’il doit
bientôt quitter le Liban pour s’exiler à Genève, laissant à son frère, décrit
comme une brute épaisse et courageuse (il a combattu les Turcs aux côtés de
Lawrence d’Arabie), la gestion de leur domaine.
Tarek, comme sa
fille, est en avance sur son temps?: il est tolérant, bienveillant, un idéal du
XXIe siècle à lui tout seul. Il enjoint ainsi Tasmine à ne pas se laisser
enfermer dans son «?genre féminin?». Sage, sentencieux, il se méfie des frères
musulmans et promeut un islam modéré. Bref, il veut l’union de tous les Arabes,
chrétiens compris, pour bouter les étrangers hors du Liban, et plus
généralement de tout l’Orient.
Le voilà donc
quittant Beyrouth avec toute sa petite famille sur le paquebot Champollion en
première classe, bien entendu. Avec lui, outre Tasmine, il y a Adela la mère,
beaucoup plus jeune que son mari. Elle l’aime, elle est soumise, elle sera dans
le roman l’archétype de la femme à l’ancienne mode qui se sacrifie entièrement
à ses enfants, et surtout à son mari, ce qui ne manquera pas de révolter plus
tard Tasmine. Celle-ci a un frère, Farouk, homosexuel, fragile, un peu snob
(sans doute le personnage le plus intéressant du texte), et deux petites sœurs
qu’elle voudrait aussi libres qu’elle...
On l’aura
compris?: dans ce long roman les personnages sont entiers, parfaits jusque dans
leurs imperfections. Nulle surprise donc, aucune ambiguïté, c’est rassurant
comme un conte. Mais ce roman a du souffle, avec ce mouvement incessant qui
transporte le lecteur de Genève à Paris en passant par Beyrouth, et ses
bonheurs d’écriture qui nous donnent à rêver du Liban. Cela nous change de la
production habituelle de certains écrivains qui ne nous offrent pour voyage que
celui de leur nombril?!
BIBLIOGRAPHIE
Les Arrogants de
Gabriel Boustany, JC Lattès, 2019, 350 p.