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Biographie



Par Fifi Abou Dib
2012 - 05
Nicole Avril, dont on connaît les biographies de grandes figures féminines, notamment celles de Dora Maar (Moi, Dora Maar, Plon 2002) et d’Élisabeth d’Autriche (L’Impératrice, Grasset 1993), a entrepris dans son nouveau roman, Brune, un exercice de funambule. D’abord parce que cette brune, Flora Tristan, a elle-même écrit et publié, non seulement son autobiographie sous le titre Pérégrinations d’une paria, mais plusieurs manifestes, témoignages et correspondances. Ensuite parce que Flora Tristan a déjà fait l’objet de nombreux ouvrages dont au moins une dizaine en français, comme en témoigne la bibliographie citée par Avril, certains signés Stéphane Michaud, André Breton ou Mario Vargas-Llosa. La difficulté pour un auteur d’apporter quelque chose de nouveau à une telle histoire est évidente, mais rend plus évidente encore la passion de Nicole Avril pour son sujet.

«?J’imagine qu’elle n’en crut pas ses yeux.?» Ainsi commence Brune, à la première personne du singulier, l’auteure engageant toute la somme de rêves et d’empathie que lui inspire Flora Tristan dans un récit qui mêle fiction et réalité, sans cesse appuyé sur des citations véridiques. Nicole Avril accompagne Flora Tristan dans sa fameuse traversée vers Arequipa, Pérou, à bord du bateau Le Mexicain. Fuyant la misère et un mari brutal, elle espère, en allant vers l’Amérique latine, récupérer sa part d’héritage. Sans doute. «?N’est-on pas condamné aux répétitifs “sans doute” quand il s’agit pour l’auteure de vivre la vie de l’autre???» souligne Nicole Avril. Cette vie, l’auteure l’accompagne jusqu’à en partager la moindre émotion, la plus infime vibration, notamment dans ce passage magnifique où elle imagine justement l’arrivée de Flora à Londres?: «?Ô ville monstre?! Ô Fernand Braudel?! Ô Baudelaire?! (…) Je me souviens de New York la première fois.?»

Flora Tristan est née d’un notable péruvien richissime, don Mariano de Tristan e Moscoso, et de Thérèse Laisné, une modeste bourgeoise française réfugiée en Espagne pendant la révolution. Mais le père n’a jamais pris la peine de régulariser cette union consacrée par un prêtre réfractaire. De retour à Paris, le couple et l’enfant s’installent dans une maison de la rue de Vaugirard entourée d’un jardin. Ils y reçoivent la visite de Simon Bolivar dont Flora garde un souvenir ébloui. Mais Mariano de Tristan meurt alors que la fillette n’a que 4 ans et demi. Commence pour sa mère une lutte de survie dans des conditions financières difficiles. Quelques années plus tard, elle pousse Flora à se marier avec un graveur, André Chazal, dans l’atelier duquel elle travaille comme coloriste. Elle aura trois enfants, dont une fille dont son père n’aura pas connaissance tout de suite, puisque Flora la met au monde après avoir déserté le domicile conjugal. Est-ce la naissance de cette fille, Aline, qui sera un jour la mère de Paul Gauguin, qui donne à Flora le courage de se battre d’abord pour elle-même avant de dédier sa lutte à toutes les femmes??

Flora est brune, faut-il le préciser, Flora est belle. À son arrivée au Pérou, son oncle en tombe amoureux – «?tu es un lama Florita, pour vivre, il te faut de la douceur?» –, mais il refuse de lui accorder son dû. Cet oncle, Pio de Tristan, préfère garder la jeune femme sous sa coulpe, quitte à la combler de richesses, plutôt que lui donner la possibilité de disposer librement de ce qui lui revient de droit. De toute façon elle est bâtarde. Un mot auquel elle préfère celui de «?paria?» rencontré dans ses lectures, car cette autodidacte a lu Rousseau, Lamartine, Mme de Staël. La loi est contre elle, elle le sera toujours. À son retour à Paris, dix mois plus tard, elle s’engage dans une lutte en faveur des droits des femmes, notamment des ouvrières qu’elle considère comme «?les prolétaires des prolétaires?», abusées qu’elles sont par des maris frustrés et misérables. Elle se bat notamment pour le droit au divorce. Cette lutte la conduit jusqu’à Londres et l’entraîne, selon la tradition des compagnons, dans un tour de France qu’elle n’achèvera jamais, mais dont les notes seront publiées à titre posthume. Affaiblie à la fin de sa courte vie (41 ans) par une balle restée logée dans sa poitrine depuis la tentative de son mari de l’assassiner, elle meurt à Lyon d’une typhoïde. Flamboyante, sensuelle, fougueuse, franche et libre, cette «?Brune?» là aura contribué à faire avancer, entre socialisme, christianisme et «?messianisme?», l’égalité des droits entre hommes et femmes. Est-ce parce que la cause n’est pas acquise que Nicole Avril a senti le besoin d’invoquer cet esprit intraitable avec sa carnation caramel et sa «?chevelure bleutée?»??

 
 
 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Brune de Nicole Avril, Plon, 2012, 274 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166