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Biographie
La plume et le burin
Biographie croisée de Claude et de Camille, du frère et de la sœur, de l'écrivain et du sculpteur, Dominique Bona nous emmène sur les traces de deux figures artistiques françaises majeures. Autopsie d'une relation plus qu'ambiguë.

Par Colette KHALAF
2007 - 03

Claudel, un nom mythique qui évoque deux grands artistes français : Paul, l’écrivain, et sa sœur Camille, le sculpteur. Pourtant, ce n’est qu’en 1989 que celle-ci fait son entrée dans le Petit Larousse. Réhabilitée depuis par des romans comme Une femme d’Anne Delbée, des films comme Camille de Bruno Nuytten ou par la publication du catalogue de ses œuvres réalisé par sa grande-nièce Reine-Marie Paris (1990), elle est de nouveau à l’honneur, en même temps que son frère, dans le dernier livre de Dominique Bona, journaliste de renom qui a toujours excellé dans l’art de la biographie : son Romain Gary a obtenu le Grand prix de la Biographie de l’Académie française en 1987, et Berthe Morisot, la bourse Goncourt en l’an 2000.
Biographie croisée, Camille, Paul, la passion Claudel retrace le destin de ces frère et sœur aux rapports ambigus, unis par des liens fusionnels, dont les chemins finiront par se séparer. Ayant grandi dans la glaciale région du Tardennois, les deux jeunes Claudel, entourés d’un père taciturne, d’une mère hargneuse et d’une sœur, Louise, mise à l’écart mais jouissant de l’affection de la mère, vont très vite développer un caractère indépendant, volontaire et rebelle. Des recherches approfondies ont permis à Dominique Bona de reconstituer l’atmosphère familiale : « Une ambiance détestable. La plupart des échanges ne sont que piques, reproches ou querelles. La famille ne connaît pas la sérénité. Paul le dira lui-même : “On se disputait tout le temps comme dans un conseil municipal… J’ai compris très vite que la vie était un drame.” » C’est probablement l’une des raisons majeures de l’évasion de Paul vers des destinations lointaines et celle de Camille à l’intérieur d’elle-même. Bona met l’accent sur cette complicité entre Camille l’aînée et son frère Paul qu’elle appellera toujours « mon petit Paul ». Elle brosse avec justesse  leurs portraits si semblables mais néanmoins si différents, et les suit à Paris où ils habiteront avec leur mère et leur sœur. Là, elle s’introduit dans leur intimité et dépeint leurs premières amours, leurs passions. Elle réussit également à ranimer les salons littéraires où se réunissaient les plus grands artistes. Une étude au scalpel qui éclaire le lecteur sur les mœurs de l’époque. Par la suite, l’auteur nous replonge dans la passion dévastatrice de Camille pour son maître, le sculpteur Rodin, qui la mena à la démence. Elle nous emmène sur les traces de Paul, devenu diplomate au service de la France, sans pour autant négliger sa plume. C’est avec beaucoup de curiosité que nous le suivons dans ses fréquents voyages. De la Chine à New York et du Japon aux Pays-Bas, une vie trépidante qui contraste outrageusement  avec celle de sa sœur Camille, confinée dans la solitude d’un asile d’aliénés. 

C’est une véritable autopsie de vie que nous propose Dominique Bona, mêlant les témoignages aux faits réels, et établissant un parallèle permanent entre les deux parcours, tout en s’interrogeant : comment Paul, fervent catholique, a-t-il pu manquer de charité chrétienne envers sa sœur ? Comment a-t-il pu laisser Camille, destinée à devenir l’une des plus grandes artistes de son temps, pourrir durant trente ans (presque la moitié de sa vie) dans une maison d’aliénés plus proche d’une prison que d’un hôpital ? Pourquoi ce frère qui disait aimer sa sœur d’un amour profond a-t-il si longtemps tu sa mémoire ? Y avait-il de l’inceste dans l’air ? Ou de la jalousie de la part de Paul Claudel, l’écrivain, le diplomate, envers cette femme de génie qui aurait risqué un jour de lui disputer sa place au Panthéon des grands ? Tout porte à le croire. Lors d’une entrevue avec Jean Amrouche, faite après la mort de Camille, l’auteur de L’Annonce faite à Marie évoque, en parlant de sa sœur, le mot « échec ». Ce mot n’est-il pas inapproprié dans le cas d’une vie tragique et perdue comme celle de Camille ? « J’ai abouti à quelque chose. Elle n’a abouti à rien », déclare-t-il. Cet amour fraternel n’était-il donc qu’illusoire ? Camille, prise de passion pour Rodin, a-t-elle incarné le péché pour ce frère reconverti ? On ne le saura jamais. Dans cette biographie riche et passionnante, Dominique Bona n’hésite pas à poser les questions qui dérangent, mais laisse au lecteur, son complice, le soin d’y réfléchir.


 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Camille et Paul, La passion Claudel de Dominique Bona, Grasset, 399 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166