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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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La Nahda, derechef


Par Youssef Mouawad
2010 - 08

Comment expliquer que depuis la Nah-da, on n’arrête pas d’invoquer une modernité qui, du reste, nous échappe ? Le regretté Samir Kassir affirmait que notre Renaissance (autoproclamée, avouons-le) restait une attitude mentale, celle de l’homme des Lumières (le tanwiri). Mais cette  Nahda, tant vantée pour être notre Risorgimento, est-elle autre chose qu’un phénomène d’acculturation (Dominique Chevallier) ou d’imitation (Bernard Lewis) ? L’histoire de cette période si magnifiée dans nos  cahiers d’écoliers  ne serait-elle pas plutôt celle d’un misonéisme, d’une résistance à la nouveauté qui investissait notre petit coin de terre assoupi !

Et ce phénomène Nahda si galvaudé a-t-il jamais rimé avec souveraineté populaire, avec égalité devant la loi (ou devant la justice) et avec système représentatif ? Et puis, qui a dit que le concept de modernité doit aller de pair avec celui de démocratie ?

Quel était le slogan mobilisateur  des couches dirigeantes et des élites intellectuelles au ground zero et à l’instant du big bang où le processus nahdawi s’est déclenché ? Était-ce le mot de liberté, ou alors de participation politique, qui était de mise ? Rien de tout cela, crénom ! Sauf chez quelques auteurs, des individus, des marginaux (Yakan, Kawakibi) ou des émigrés fignolant outre-Atlantique leurs projets réformistes ou ressassant sans fin « leurs misères hautaines » dans de douillettes retraites.

En revanche, pour le gros des troupes, le mot d’ordre était de rattraper l’Occident ; le monde ottoman avait pris trop de retard. D’où l’appellation  « Itihad  wa Taraqi » des Jeunes Turcs, cette formation de patriotes aux opinions avancées et à la gâchette rapide. La situation générale se détériorait à vue d’œil ; et depuis que l’empire  se laissait grignoter du golfe de la Grande Syrte aux confins de la Valachie, amertume et revanchisme étaient désormais les maîtres mots dans l’espace public !

Notre modernité était porteuse de ressentiment ; elle ne revendiquait guère la démocratie. Elle n’octroyait ni Habeas Corpus ni Magna Carta ; elle n’énonçait pas une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et les Tanzimat n’accordaient aux sujets du sultan qu’une égalité formelle, acquise sous la pression des puissances occidentales.

Il fallait aller au plus pressant, et coûte que coûte prendre le train de rakb al-Hadara en marche. Ce  n’était pas l’homme, ce n’était pas l’individu qu’il fallait émanciper, ou à son épanouissement qu’il fallait songer. L’urgence nationale était ailleurs ; c’est qu’il fallait  rattraper les retards accumulés, au risque de causer des dégâts collatéraux dans les rangs des fidèles et des raayas, ou d’égratigner les grands principes de la bonne gouvernance.

Les notions de liberté,  de citoyenneté, d’accountability et que sais-je d’autre n’ont jamais été dans nos foyers que des ersatz, des contrefaçons ou des monstres difformes, pointés du doigt comme modèles de dérision. En revanche, pour ce qui est de l’aspect condamnable des emprunts à l’Europe, nous avons cultivé, avec beaucoup de conviction, la dictature (pendant du  despotisme oriental), l’arbitraire et les régimes inspirés du père Ubu ou de la Stasi, pour singer l’Occident et ses suppôts.

 
 
L'Orient-Le Jour
Qui a dit que le concept de modernité doit aller de pair avec celui de démocratie ?
 
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