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Tribunal international et État de droit


Par Samir Frangié
2010 - 09
Faut-il fonder notre paix civile sur un déni de justice ?

La question est désormais posée après les menaces formulées par le Hezbollah, directement ou par l’intermédiaire de ses alliés contre tous ceux qui soutiennent le Tribunal spécial pour le Liban (TSL).

Comment justifie-t-il sa position ? De la manière la plus simple : ce tribunal est un instrument aux mains d’Israël. Le refus de reconnaître et de dénoncer ce fait est le signe évident d’une collusion avec l’ennemi, collusion qui justifie, à son tour, toutes les réactions, y compris le recours à la force.

L’argument est clair. Mais les questions qu’il soulève n’ont pas trouvé jusque-là de réponses convaincantes.
Pourquoi le Hezbollah a-t-il donné sa caution à un tribunal « israélien » et accepté qu’il soit mentionné dans le programme de l’actuel gouvernement au sein duquel il est pourtant fortement représenté avec ses alliés ? Comment le Hezbollah qui dénonce le TSL accepte-t-il de remettre les « preuves » et les « indices » qu’il détient sur une éventuelle implication israélienne dans l’assassinat de l’ancien Premier Ministre Rafic Hariri à un tribunal « israélien » ?

Comment ce tribunal « israélien » qui condamne le Hezbollah a, d’ores et déjà, selon le secrétaire général du parti de Dieu, innocenté la Syrie et, avec elle, les quatre officiers libérés en 2009 ? Pourquoi la Syrie, pourtant proche alliée du Hezbollah, n’a-t-elle pas accusé, elle aussi, le tribunal d’être « israélien » ? Pourquoi a-t-elle annoncé, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, qu’elle ferait passer en jugement toutes les personnes qui seraient mentionnées dans l’acte d’accusation émis pourtant par un tribunal « israélien » ? Comment expliquer que les « faux témoins » dont fait mention le Hezbollah sont tous de nationalité syrienne et qu’aucun d’eux n’a été jusque-là déféré en justice dans son pays d’origine ? Faut-il accuser la Syrie également de « collusion avec l’ennemi » ?

Les alliés du Hezbollah ont tenté de venir à sa rescousse, mais sans grand succès. Le général Michel Aoun est même allé jusqu’à demander à Dieu de lui pardonner l’erreur qu’il a faite en réclamant la création d’un Tribunal international, et, dans l’attente de la miséricorde divine, il n’a pas trouvé mieux que d’accuser le Conseil de sécurité des Nations unies d’avoir commandité les assassinats pour pouvoir justifier de nouvelles résolutions internationales.

Mais trêve de plaisanteries !
Pour les Libanais, ce tribunal est d’une importance capitale :
Tout d’abord parce qu’en réaffirmant la primauté du droit sur la force, il permet de jeter les bases d’un État de droit dans un pays qui a connu une des plus longues guerres civiles de l’histoire moderne et où 150 000 personnes ont été tuées et 17 000 autres portées disparues sans que jamais justice ne soit rendue.
Ensuite parce qu’il réhabilite la notion de justice qui est au fondement de notre système de valeurs et permet de fonder le vivre-ensemble entre les communautés sur des bases stables, loin des crispations identitaires que suscitent les frustrations de tout genre.
Enfin parce qu’il devrait aider les Libanais à rompre avec cette « culture de la violence » qui leur a coûté très cher, et qu’ils ont payée de la destruction de leurs villes et de leurs villages, de l’exode de centaines de milliers de leurs enfants, de la perte de leur qualité de vie, de la chute de leurs revenus, de leur aptitude au bonheur, de leur capacité à espérer, de leur estime de soi. Il devrait également leur permettre de poursuivre l’œuvre qu’ils ont déjà commencée, celle de jeter les bases d’une « culture de la vie » aussi bien chez eux que dans le reste du monde arabe, d’une « culture de la vie » qui mettrait fin à ce processus de réduction qui est à l’origine de toutes les folies : réduction de la civilisation à la culture, de la culture à la religion, de la religion à la politique, et de la politique à l’action violente.

* * * * *

L’assassinat de Rafic Hariri peut être considéré, dans une lecture anthropologique, comme un « meurtre fondateur » dans la mesure où il a été le point de départ d’une incroyable réconciliation de chaque Libanais avec lui-même et avec les autres.

Il nous faut espérer que l’action du tribunal, en réponse à ce « meurtre fondateur », sera un « acte fondateur » qui réhabiliterait la loi et jetterait les bases d’un avenir meilleur pour l’ensemble des Libanais.
 
 
L'Orient-Le Jour
 
2020-04 / NUMÉRO 166