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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Samir Frangié
2011 - 07
En cette journée du 23 juin 2011, deux événements nous concernant ont lieu. Le premier est l’élection d’Amin Maalouf à l’Académie française par 17 voix sur 24?; le second est l’annonce faite par le secrétaire général du Hezbollah de l’arrestation dans les rangs de son parti de trois «?agents de la CIA?».

Deux événements qui ne se situent pas seulement dans deux espaces différents, Paris et Beyrouth, mais également dans deux temps différents?:
un temps ancien, un temps de la violence et de l’exclusion, où l’individu, privé d’autonomie, est intégré, sans même l’avoir voulu, dans un des deux camps, celui du bien et celui du mal, appelés à s’affronter jusqu’à la fin des temps.
Et un temps de «?la rencontre et du dialogue?» qui privilégie l’individu et estime que son épanouissement est lié à son ouverture sur l’autre, l’individu ne pouvant devenir lui-même que s’il y a un «?autre?» différent.

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Amin Maalouf n’a pas toujours été cet «?homme de la rencontre et du dialogue?». Il l’est devenu au terme d’un long cheminement qui l’a conduit à découvrir son identité, son identité propre, une identité qui «?ne se compartimente pas, qui ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par pages cloisonnées?», et à rejeter les identités uniques qui très vite se transforment en «?identités meurtrières?».

L’amitié qui me lie à Maalouf m’a permis de suivre son parcours. Nous étions ensemble à l’université, militant dans les rangs de la gauche, quand éclate le premier affrontement entre partisans et adversaires de la Résistance palestinienne. Nous sommes en 1968. L’événement suscite une grande émotion dans le pays. Des grèves ont lieu dans de nombreuses écoles et universités. Des manifestations sont organisées un peu partout dans le pays.

Les 17 novembre 1968, le journal L’Orient décide d’organiser un «?face-à-face?» entre «?ces jeunes qui ont agité les foules?». Nous sommes sept étudiants, sept «?agitateurs?», selon L’Orient, à y participer. Amin Maalouf est l’un d’eux, mais aussi Bachir Gemayel. Les débats sont chargés de passion. Les choix étaient, à l’époque, radicaux, et les nuances perçues comme des compromissions. Il faut dire que la violence n’avait pas encore le goût amer qu’elle a aujourd’hui.

Le parcours de deux de ces «?agitateurs?» me laisse songeur. Le premier, Bachir Gemayel, est élu, 14 ans après ce «?face-à-face?», à la présidence de la République. Assassiné trois semaines plus tard, il accède au rang de «?martyr?». Le second, Amin Maalouf, quitte le Liban pour la France, est élu, 43 ans après ce même «?face-à-face?», à l’Académie française, et accède au rang d’«?Immortel?».

Entre le parcours du premier, disparu très tôt à l’âge de 34 ans, et celui du second se situe le long temps difficile de la maturité, un temps fait d’illusions perdues, de déceptions, de remises en cause, mais aussi de réflexion, de recherche et d’ouverture.

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C’est cette maturité difficilement acquise qui conduira Amin Maalouf à réfléchir sur les moyens de «?construire des passerelles entre l’Occident et le monde arabe?» et à participer à jeter les fondements d’une véritable modernité planétaire que la mondialisation rend désormais inéluctable.

Pour lui, les choix à faire sont déterminants?: «?Soit nous saurons bâtir en ce siècle, dit-il, une civilisation commune à laquelle chacun puisse s’identifier, soudée par les mêmes valeurs universelles, guidée par une foi puissante en l’aventure humaine, et enrichie de toutes nos diversités culturelles, soit nous sombrerons ensemble dans une commune barbarie.?»
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166