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T’es toi quand tu parles…


Par Ziad Baroud
2012 - 01
T’es toi quand tu parles est un livre de Jacques Salomé dans lequel l’auteur démontre qu’il est possible de constituer une « grammaire relationnelle » entre adultes et enfants. Très révélateur et particulier, le titre de l’ouvrage invite quand même à une réflexion de fond, lorsque la phonétique « lit » le titre « Tais toi quand tu parles »... La grammaire jongle alors avec la censure en l’interpelant. C’est de cela que je souhaiterais vous parler…

Pendant longtemps, en effet, le verbe et les idées qu’il véhiculait se transmettaient par l’imprimerie, invention qui a bouleversé le monde de la communication. Très vite, les journaux et les livres sont devenus les alliés privilégiés des révolutionnaires, militants, réformateurs… La libre communication des idées a trouvé son « canal ruisselant ». Très vite aussi, radios et télévisions ont multiplié les véhicules d’idées, au point d’écourter les distances au-delà des mers et océans. Mais si la terre de Galilée tourne, pourtant, il n’en demeure pas moins que son pivotement n’était pas plausible aux obscurantistes de son époque. Ceux-là ont censuré une réalité. Et pourtant, elle tourne… Censure judiciaire, religieuse, étatique ? Qu’importe ! Elle tourne… Dans son ouvrage L’Astronome, Alexandre Najjar imagine la rencontre – fortuite – entre Galilée et l’émir Fakhreddine, à la cour royale, lors de la visite de notre « ancêtre » au pays du premier. Une rencontre qui se ferait aujourd’hui sur la toile ou en direct par satellite. Galilée aurait-il pu mieux défendre sa thèse sur sa page Facebook ? L’émir du Mont-Liban aurait-il pu rassembler sa diaspora en s’adressant aux Libanais « en direct », à Florence ou ailleurs ? Aurait-il pu échapper à son sort par d’autres moyens de communication de nature à briser le silence et permettre le droit à l’information ? Autant de questions qui trouvent aujourd’hui leurs réponses respectives au virtuel. N’est-ce pas que les anglophones nous livrent « si vous n’êtes pas virtuel, vous n’êtes pas réel » ? Ce virtuel qui rend le réel accessible rend aussi les pratiques de censure caduques, inefficaces et révolues. Ce virtuel fait de l’instantanéité de l’information une arme inégalée au service de la libre communication des idées et… des quatre vérités. Ce virtuel est très vrai, réel, tangible, patent ! Demandez aux Tunisiens si Bouazizi est virtuel. Demandez aux Égyptiens si al-Tahrir est virtuelle. Et demandez à Galilée si « elle » tourne…

Dans un monde où les frontières n’ont plus de leur efficacité que l’accès physique pur, les idées traversent allègrement les limites que les hommes – certains – imposent. Dans ce monde, certains régimes qui s’obstinent à croire pouvoir arrêter les cadrans de la montre s’évertuent à s’attacher à des législations et pratiques d’un autre temps. Comment peut-on cantonner une information, une image, un film, ou une création de l’esprit, dans le cadre d’une autorisation administrative ? Que reste-t-il de la censure « locale », dans les limites des frontières physiques, si le virtuel les dépasse, les survole et… s’en moque ? Comment peut-on être aussi ignorant des nouveautés à la cadence survoltée ? Peut-on déchirer, aujourd’hui, une page qui ne nous semble pas « politically correct » sur Facebook ? Peut-on interdire une déclaration jugée inappropriée sur Twitter ? La censure n’est plus ce qu’elle était. Elle a succombé face au virtuel. C’est une réalité que les régimes, les gouvernements et la police devraient comprendre, accepter et agir en conséquence. Nos lois sont désuètes. Honteuses. Stupides. Il faut changer la loi, non pas pour améliorer la situation. Elle est déjà nettement meilleure. C’est plutôt pour rendre la législation conforme au réel. Pour une fois, la loi devrait suivre. L’État de droit l’impose. L’état DU droit devrait s’y conformer… Halte à la schizophrénie ! 

Jacques Salomé n’a pas tort : t’es toi quand tu parles… La grammaire relationnelle entre l’État et les citoyens devrait désormais conjuguer le Verbe au futur simple du virtuel. Le passé composé est révolu. Le conditionnel de la censure est désuet et obsolète. En 2012, le Liban est invité à conjuguer la libre communication des pensées au plus-que-parfait. Le présent le prescrit…
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166