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La stratégie d’interdiction


Par Jocelyne el-Boustany
2015 - 08
Vacance présidentielle, paralysie institutionnelle, dysfonctionnement de l'activité législative et blocage politique sont sans aucun doute les éléments constitutifs d’un État failli ou de l’épilogue d’un plan savamment élaboré. Un plan dont la mise en place a commencé suite au retrait de l’armée syrienne le 26 avril 2005, lorsque la relève dans l’exercice d’une politique à l’identique, qui a pour fondement le dysfonctionnement institutionnel et la logique de la force, a été assurée par le Hezbollah. S’agissant du plan stratégique de ce parti, il serait conforme aux préceptes du général André Beaufre qui impliquent de choisir des actions successives et des possibilités de riposte aménagées dans un système visant à conserver le pouvoir de dérouler son plan malgré l'opposition adverse. Si le plan est bien fait, il ne devrait plus y avoir d'aléas.

Ainsi, à peine installé au pouvoir en juillet 2005, le Hezbollah qui a toujours valorisé les stratégies indirectes (dont l’objet est de miner les capacités de l’adversaire) annonce la couleur en adoptant la stratégie d’interdiction. Il s’agit d’une forme d’usure fondée sur l’immobilisation de l’ennemi. C’est l’antithèse du choc militaire frontal où l’ennemi n’est pas détruit mais incapable d’agir, l’usure est dynamique elle est le résultat de la paralysie imposée. 

Face à la ténacité du Hezbollah dans la poursuite de son objectif, la stratégie des dirigeants de la mouvance adverse se caractérise par l’irrésolution et se limite à la défensive passive, celle qui se condamne à encaisser les coups sans les rendre. C’est la raison pour laquelle, jusqu’ici, le plan du Hezbollah se réalise sans accrocs, d’autant plus qu’il semble avoir le vent en poupe suite à l’accord sur le nucléaire iranien. Si l’insistance du parti à préserver l’équation en or du « peuple, armée, résistance » le confirme, elle tend également à occulter sa renonciation à un règlement de la crise dont les paramètres sont connus de tous et qui consiste à rendre le monopole de la force à l’État tout en respectant les particularités du système politique libanais. D’ailleurs, le cadrage des faits proposé dans la communication politique du Hezbollah depuis l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri met en évidence un discours politique qui n’a jamais été aussi révélateur de ses intentions.

Or, si « gouverner, c’est prévoir », il semblerait que certains gouvernants ont simplement failli à leur tâche, alors que d’autres ont compris le message. C’est pourquoi, sitôt le mandat de Michel Sleiman terminé et après avoir réalisé que l’approche indirecte est de loin plus efficace que les attaques frontales, Michel Aoun, prêt à aller jusqu’au bout dans sa quête de la présidence de la République, adopte la stratégie d’interdiction.

Sachant que la politique du bord du gouffre ne peut être que contre-productive, quelles sont les raisons qui justifient aux yeux des partisans de Michel Aoun ce suicide collectif ? Est-ce l'esprit de corps qui tend à étouffer toute pensée critique indépendante ? Est-ce l’existence d’un leadership très directif qui instrumentalise la cohésion élevée du groupe ? Ou alors l’effet « Janis », phénomène dit de « pensée groupale » ?

Si « la pensée groupale désigne le fait qu'à l'intérieur d’un groupe se développent des mécanismes psychologiques qui incitent les individus à rapprocher leurs points de vue les uns des autres, à développer une cohésion qui leur fait prendre des positions irrationnelles ; elle se manifeste en particulier par le fait que l’on ne tient plus compte des réalités extérieures et, de ce fait, la décision prise est souvent boiteuse ». Elle l’est précisément à cause de ce sentiment d'invulnérabilité qui fait que le groupe convaincu d'être dans son bon droit, se croit au-dessus des lois. Il y a aussi la tendance du groupe à ignorer les affirmations qui contredisent les convictions de ses membres et à construire des stéréotypes concernant les personnes opposées à ces convictions. Enfin, la pression de la conformité et l'autocensure poussent les membres du groupe à garder leurs opinions divergentes pour eux, plutôt que de déserter le navire.

La connaissance de ces mécanismes psychologiques nous permet de mieux comprendre le symptôme d'illusion collective présent : illusion de moralité (ou la croyance en la supériorité morale du groupe), d'unanimité et d'invulnérabilité. Quant aux caractéristiques qui marquent les décisions prises par effet « Janis », elles portent sur les distorsions dans le traitement de l'information et la définition des objectifs, le manque de recherche d'alternatives logiques et cohérentes, mais surtout l'absence de prise en compte des risques potentiels que la décision comporte.

Pareil au joueur de flûte de Hamelin, Michel Aoun emmène avec lui ses partisans à la montagne ou au bord de la rivière selon la version choisie.

« On entendit quelque temps le son de la flûte ; il diminua peu à peu ; enfin l’on n’entendit plus rien. »
 
 
D.R.
« Pareil au joueur de flûte de Hamelin, Michel Aoun emmène avec lui ses partisans à la montagne ou au bord de la rivière selon la version choisie. »
 
2020-04 / NUMÉRO 166