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Hommage à Michel Déon


Par Josyane Savigneau
2017 - 01
Michel Déon a longtemps été épargné par les stigmates du grand âge. Mais il se moquait de la passion actuelle pour les records de longévité, et disait volontiers à ceux qui le félicitaient pour son allure et son allant : « Faut-il vraiment à tout prix devenir centenaire ? » Il est mort le 28 décembre en Irlande, où il habitait. Il avait 97 ans. On a beau savoir que c'est une longue vie, on n'en est pas moins triste, si on a eu la chance de partager avec lui son art de la conversation et son insatiable curiosité pour les livres.

S'il fallait le définir en quelques mots, on dirait : charme, ironie, absence de conformisme, que l'entrée à l'Académie française, en 1978, au fauteuil de Jean Rostand, n'avait pas réussi à entamer. Ainsi, l'un de ses cadets qu'il a le plus encouragé, soutenu, était Jean Rolin. De ceux qui s'étonnaient qu'un homme de droite, maurrassien, ancien secrétaire de rédaction de L'Action française, se sente si proche d'un ex-maoïste, Michel Déon estimait qu'ils ne comprenaient rien à la littérature.

La littérature, c'était la grande affaire de sa vie, depuis l'enfance. Avant même de savoir écrire, il inventait des histoires auxquelles ses parents feignaient de croire. Et, comme tous les vrais écrivains, il a toujours été un grand lecteur. D'abord dans la bibliothèque familiale, où il a notamment découvert Anatole France, auteur de prédilection de son père. Puis par lui-même. Stendhal, Valery Larbaud, Paul Morand – qui avait pâti de son vichysme pendant la Seconde Guerre mondiale, et qu'il a contribué, avec quelques autres, à faire redécouvrir et admirer comme le grand écrivain qu'il est. Joyce aussi, lu juste après sa mort, en 1941, « un grand choc de lecture ». Et peut-être par dessus tout Joseph Conrad, dont il relisait chaque année « au moins La Ligne d'ombre », et dont il ne cachait pas qu'il aurait aimé être lui.

Bien qu'il fût peu enclin à la confidence, Michel Déon s'est livré un peu dans un livre très délicat et touchant, La Chambre de ton père, publié chez Gallimard – son éditeur quasi constant – en 2004. Il y décrit l'enfance d'un petit garçon appelé Édouard Michel, né en 1919 – il prendra comme prénom Michel, et comme nom de plume Déon, une partie du patronyme de sa grand-mère, puis fera en sorte que cela devienne son nom légal. On est dans le 16e arrondissement de Paris, dans une école chic, où les mères viennent chercher les petits garçons au volant de superbes voitures.

Cette belle enfance devait se poursuivre à Monaco, où son père avait été nommé directeur de la sécurité. Mais celui-ci meurt d'une tumeur au cerveau en 1933. Son fils n'a pas encore 14 ans. De retour à Paris, il est élève au lycée Janson de Sailly avant de commencer sans enthousiasme des études de droit, que la guerre va interrompre.

Démobilisé, il se replie à Lyon, en zone non occupée et c'est là qu'il devient secrétaire de rédaction de L'Action française. Mais c'est après la guerre que naît vraiment Michel Déon, le romancier, mais aussi l'homme qui aimait la vie, les femmes, les bateaux, les voitures de sport, les alcools forts, les tabacs odorants, le Sud et les parfums de jasmin. Tandis qu'il commence à publier, il se laisse aller à son goût des îles – « ce goût m'a poursuivi la vie entière », dira-t-il.

Il s'installe donc en Grèce, à Spetses, avec sa compagne, Chantal, qu'il épousera quelques années plus tard. On est en 1959. Malgré son amour pour la Méditerranée, c'est une île plus rude qu'il commencera à fréquenter, à partir de 1969, l'Irlande. Il y achète en 1974 un ancien presbytère, non loin de Galway, et partage son temps entre la Grèce et l'Irlande, jusqu'à la vente de sa maison grecque, en 1988. « La Grèce m'aura obsédé, je ne cesserai jamais d'y penser, écrit Michel Déon en 2005 dans Cavalier, passe ton chemin, mais c'est l'Irlande qui m'a gardé… enfin… jusqu'à aujourd'hui, laissons à demain ses libertés. »

L'Irlande l'a gardé jusqu'à la mort, et il y recevait avec plaisir des visiteurs, notamment quand Gallimard a réuni plusieurs de ses œuvres en « Quarto », en 2006. On y retrouve bien sûr un de ses romans les plus connus, Un Taxi mauve, mais aussi Les Poneys sauvages, une fresque ambitieuse, qui exprime ses idées politiques et existentielles, et qui obtint le prix Interallié 1970 et suscita la polémique.

Si l'on n'est pas de droite, on préfère sans aucun doute relire les Pages grecques, ou l'un de ses derniers livres, Lettres de château. Mais on aurait surtout aimé continuer à partager avec lui sa passion de découvrir de nouveaux talents.
 
 
D.R.
Avant même de savoir écrire, il inventait des histoires.
 
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