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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Jabbour DOUAIHY
2008 - 12
Fouad Sleiman est un écorché vif de la chose publique. Son appartenance au Parti nationaliste syrien participe de cette révolte teintée de romantisme qu’il décline sur tous les tons dans ses billets du quotidien An-Nahar, logiquement réunis dans une manière de manifeste de l’insoumission et de la renaissance sous le titre mérité de Tammouziyyat (éd. Al-Charika al ‘amma lil kitab, Beyrouth). Entre 1949 et 1951, année de sa mort prématurée à trente-neuf ans, ce professeur de littérature arabe signait dans la rubrique au titre paradoxalement bienveillant de Sabah el-kheir avec le surnom mythologique Tammouz (le même Adonis dans le lexique des adeptes d’Antoun Saadé) des petits textes distillés sur le feu embrasé de l’indignation et où il maniait «?le bâton, le fouet et le bistouri bienfaiteur?», selon l’expression de Ghassan Tuéni dans sa préface au recueil de celui qui se considérait comme un journaliste à part… Tout cela au nom de la trinité familière à toute une génération?: le Droit, le Bien et la Beauté.

Relevons pourtant que Fouad Sleiman, avec son style haché et incisif, n’est pas une furie à plein temps. Originaire d’un petit village de la «?Koura verte?» comme on la surnomme, il sait parfois s’offrir des intermèdes bucoliques sans mélange des genres comme cette promenade «?parfumée?» avec la bien-aimée dont les fenêtres de la maison sont faites de tulipes et de jasmins, ou une célébration de l’arrivée du printemps après une saison «?dure pour les rossignols?», ou un hommage au chêne du village dans une petite paraphrase de La Fontaine.

Pour le reste, tout est sujet de colère. Face à la faim féroce qui jette dans la rue un homme à la jambe dévorée par la vermine et qui détrônera un jour les puissants lorsque les pauvres se déchaîneront pour le pain fait à la sueur de leurs fronts, contre la pierre triste et froide dans laquelle sont figés les martyrs de l’indépendance et l’autre rocher de Nahr el-Kalb qui a laissé les envahisseurs y graver leurs exploits, contre les «?sept mers?» qui voient émigrer vers des cieux plus cléments la fine fleur de notre jeunesse. Il appelle de ses vœux la tempête qu’il aime «?par nature?» pour qu’elle emporte des autorités qui ignorent des génies comme Gibran ou malmènent d’autres comme Michel Trad ou Khalil Moutran. Le point d’orgue est dans ce souhait terrible de voir une explosion raser le monde pour qu’il en sorte un homme nouveau qui «?se détruira lui-même une deuxième fois… pour que l’obscurité revienne couvrir la terre… pour que l’histoire de l’homme impie se poursuive à l’infini?».

Pourtant le billettiste sans emphase qui broie du noir à longueur de pages laisse parfois surgir un élan compensatoire?: «?Il y a de l’amour aussi dans mon cœur, vous n’en connaissez pas la profondeur… Je ne fermerai pas ma fenêtre jusqu’à ce que les gens de mon pays soient dignes d’être des humains… Et Dieu est à mes côtés.?»

 
 
© An-Nahar
Fouad Sleiman est un écorché vif de la chose publique.
 
2020-04 / NUMÉRO 166