Par Georgia Makhlouf
2018 - 03
Vingt-quatre ans après
sa première édition, le salon «?Maghreb des Livres?» organisé par l’association
Coup de Soleil que dirige Georges Morin, s’agrandit et devient «?Maghreb-Orient
des Livres?». C’est l’iReMMO (Institut de Recherche et d'Études Méditerranée
Moyen-Orient) qui a donné l’impulsion à cette collaboration, inaugurée cette
année et qui permettra dorénavant aux écrivains de France et du Maghreb
– Algérie, Maroc, Tunisie, mais aussi Mauritanie et Libye – d’être
rejoints par leurs homologues du Moyen-Orient, pour engager des dialogues
encore plus riches et plus largement ouverts sur des problématiques communes.
«?Cette manifestation
s’inscrit pleinement dans l’esprit de l’iReMMO qui cherche à transmettre des
connaissances, à confronter des points de vue, à faire mieux connaître l’Autre
car, bien souvent, c’est l’ignorance des autres qui attise les conflits?»,
souligne Jean-Paul Chagnollaud, directeur de l’Institut. «?Au-delà du plaisir
de la rencontre avec des auteurs et leurs livres, il s’agit aussi pour nous de
montrer l’Orient sous un autre jour que celui déformé par les images
réductrices que l’actualité parfois tragique de cette région produit. Derrière
le fracas des armes et les souffrances, on oublie trop souvent les sociétés où
vivent des hommes et des femmes que nous connaissons bien peu en France. Les
livres, sous toutes leurs formes offrent de précieuses approches pour les
découvrir autrement, dans leurs vies quotidiennes, leurs cultures, leurs
craintes et leurs espérances. Et ce d’autant mieux que ce salon permet de venir
à la rencontre de celles et de ceux qui les ont écrits...?»
Parmi les temps forts
du salon qui s’est déroulé les 2, 3 et 4 février, on peut noter une table ronde
animée par François Georgeon?: «?Vivre dans l’Empire ottoman?» qui permet de
rappeler que ce passé concerne toute la région?; ou «Quel avenir pour le Moyen-Orient???»
avec Jean-Pierre Filiu, Gilbert Achcar et Hyam Yared. Achcar y souligne que les
raisons profondes des soulèvements arabes sont toujours présentes, que les
problèmes ne peuvent être résolus dans le cadre des configurations actuelles et
que d’autres flambées de violence sont donc probables. Filiu quant à lui
insiste sur le fait que déni des droits et solutions imposées de l’extérieur
constituent des causes d’échec certain des processus de normalisation.
Mentionnons également «?Les villes plurielles d’Orient?» avec notamment Franck
Mermier, Nedim Gürsel et Salam Kawakibi et un débat sur «?Les manières d’être
en contexte laïc?» qui croise les regards juif et musulman. «?Je plaide pour la
réactivation de la mémoire ancienne judéo-musulmane, afin d’éviter la perte
définitive d'une civilisation complexe et riche. Sinon, ce sont les
fondamentalistes qui se chargeront de lui donner un sens?», affirme ainsi
Benjamin Stora. Point d’orgue de la journée de samedi, un très bel «?Hommage à
Mahmoud Darwich?» par Élias Khoury et Farouk Mardam-Bey. À ce propos,
Mardam-Bey souligne le statut très particulier du poète palestinien dans la
littérature contemporaine?: au programme de l’agrégation de français cette
année, ses ouvrages continuent à se vendre au rythme de 6 à 7000 exemplaires
par an quand les grands poètes français dépassent rarement les 2000
exemplaires. «?Si Darwich a acquis son aura en tant que poète de la résistance
palestinienne, il n’a néanmoins jamais cessé d’évoluer, de s’interroger et de
se renouveler. Son public l’a suivi jusqu’au bout, même quand sa poésie s’est
faite moins politique et plus métaphysique. Avec Darwich, on a la combinaison
rare d’un talent exceptionnel et d’une forme d’inquiétude, de quête
personnelle, qui le conduit vers une poésie de plus en plus élaborée. Du Maroc
au Golfe, je m’aperçois à quel point sa poésie imprègne ses lecteurs qui,
souvent à leur insu, parlent avec ses mots, reproduisent ses expressions. Le
miracle Darwich n’est pas près de se répéter.?»
Cafés littéraires, tables
rondes et entretiens se sont ainsi succédé pendant trois jours. Parmi les
autres écrivains libanais présents, Imane Humaydane ou Maya el-Hajj qui est
intervenue sur le thème du patriarcat. Ce sont entre 5000 et 6000 visiteurs qui
se pressaient dans les salons de l'Hôtel de Ville durant les éditions
précédentes, mais avec l’ouverture du salon au Moyen-Orient, l’objectif était
de toucher un public plus nombreux et plus varié.
Belle perspective
assurément, riche de promesses tant les écrivains du Moyen-Orient ont besoin de
nouveaux espaces de dialogue et de reconnaissance en France.