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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le livre de chevet de...
Jean-Paul KAUFFMANN
2009-07-02
Mon livre de chevet est irrémédiablement Guerre et Paix de Tolstoï que j’ai lu pendant ma captivité au Liban. Ce roman m’a sauvé la vie. J’y ai puisé les leçons qui m’ont permis de lutter contre le désespoir, le doute, le chagrin. Surtout le chagrin dont l’envahissement est funeste car, comme l’écrit saint Paul, « la tristesse du monde produit la mort ». Guerre et Paix célèbre le bonheur d’être vivant, un amour de la vie qui traverse la plupart des personnages. C’est un livre total, éclatant, qui s’accorde à une situation extrême, peut-être en raison de la multitude des protagonistes (on en a recensé une centaine) à travers lesquels le lecteur peut se projeter à sa guise.
Entre les deux héros principaux, on se doit de choisir. Je préfère pour ma part le prince André. Il est sévère, un peu rigide, cassant. C’est une personnalité inquiète et ardente, qui se révèle finalement miséricordieuse alors que Pierre Bezovkhov est le bon gros, faible, naïf, sensuel, accommodant, qui apparaît plus sympathique que le prince André. Je l’aime bien quand même, mais la figure du prince André est plus complexe, plus imprévue.
Je connais par cœur le fameux passage où, à la veille de la bataille de Borodino, le prince André a la révélation de sa mort prochaine. Il regarde le soleil couchant éclairer le feuillage des bouleaux et éprouve un sentiment de jalousie à l’égard des arbres : « Mourir, je serai tué demain, je ne serai plus et tout cela continuera d’exister ». C’est un moment bouleversant. Évidemment, dans ma geôle, incertain de l’avenir, m’attendant à une mort imminente, je m’identifiais au prince André. J’étais jaloux du mur de ma cellule qui allait continuer sans moi.
Je relis ce livre avec un immense sentiment de gratitude. Tous ces personnages si vivants m’ont tenu compagnie dans le silence et l’angoisse de ma geôle. Ce sont des amis très chers. Après ma libération, j’ai voulu me rendre en Russie. Je voulais connaître les lieux où Tolstoï avait écrit ce roman salvateur.
 
 
© D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166