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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Farouk Mardam-Bey
2010-06-03
Les Mu’allaqât
(les grandes odes préislamiques)
 
Qu’elles soient authentiques, autrement dit l’oeuvre de poètes bédouins de l’Arabie préislamique, comme on s’accorde à le reconnaître de nos jours, ou bien forgées en Irak, au VIIIe siècle, par des grammairiens de Basra ou de Koufa, comme l’a longtemps soutenu un certain orientalisme hypercritique, ces sept, neuf ou dix odes sont proprement miraculeuses. Tout en faisant partie du plus ancien corpus de poésie arabe qui nous soit parvenu, elles frappent d’abord par leur caractère achevé. Cette langue si riche et si précise, cette prosodie complexe, ce jaillissement ininterrompu d’images éblouissantes, laissent supposer une longue évolution antérieure dont nous ne connaîtrons probablement jamais les étapes successives.
Plus miraculeuse encore, dans cette société tribale où la survie des groupes dépend de leur esprit de corps, est l’affirmation par le poète de son extrême solitude. S’il est souvent le chantre de sa tribu, et
parfois outrageusement, il est aussi et surtout le chevalier sans peur, le sage désabusé, le jouisseur impénitent, l’individu libre qui clame sa différence. Sa vision du monde, foncièrement tragique, transcende le système de valeurs tribal. S’il relate ses aventures féminines, ses amours se réduisent à quelques instants de plaisir, inévitablement suivis d’une rupture. S’il décrit la faune et la flore du désert – et avec quel luxe de détails ! –, il n’est sur terre qu’un voyageur qui passe son chemin. Et quand il s’arrête devant les ruines d’un campement, thème obligé par lequel commence tout poème, ce n’est pas seulement pour se lamenter sur l’absence de la femme aimée, mais pour méditer, dans un état de totale désespérance, sur le néant qui guette toute entreprise humaine. Jamais peut-être, comme l’a noté Alain Badiou, on a exprimé la déréliction avec autant de force et de constance. 
 
 
Traduction française :
Les Mu’allaqât, les sept poèmes préislamiques, traduits et commentés par Pierre Larcher, Fata Morgana, 2000. Lire aussi, par le même traducteur, les trois autres odes (celles de A’shâ, Nâbigha et ‘Abîd) Le Guetteur des mirages, cinq poèmes préislamiques, Sindbad, Actes Sud, 2004. Et voir de Salam Kindi, préfacé par Alain Badiou, Le Voyageur sans Orient, Sindbad, Actes Sud, 1998. 
 
 
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