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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le livre de chevet de...
Bertrand Py
2015-03-05
Mon livre de chevet n’existe pas tout à fait, mais bien souvent mon imagination en explore les arcanes. On l’appelle « la Décalogie », car il aurait compté dix volumes si son auteur, Jean Giono, avait achevé de l’écrire. Giono voulait mettre en scène sur près d’un siècle trois générations dont Angelo Pardi (héros du roman Angelo puis, ultérieurement, du Hussard sur le toit) figure la première incarnation, et dont son petit-fils, identiquement prénommé Angelo, personnifie la dernière dans Mort d’un personnage. L’admirable, ici, c’est que Giono répond à une question qui « ne se conçoit pas encore ». Imaginé comme le terme de la Décalogie, Mort d’un personnage a en effet paru bien avant que Giono ait écrit son merveilleux Hussard. Or qui a lu ce dernier livre se souviendra qu’au terme de leurs chevauchées (platoniques) à travers les ravages du choléra, la sublime Pauline, sauvée de la maladie, lui promet que, lorsqu’ils seront parvenus à Théus (chez son mari), Angelo pourra la « voir en robe longue ». Deux générations plus tard, dans Mort d’un personnage un nommé Angelo est au chevet d’une vieille Pauline – sa grand-mère – et le lecteur apprend (avant de pouvoir le lire) ce que dans Le hussard la jeune Pauline promettait avec sa « robe longue » : jamais union n’aura été plus euphémistiquement exprimée. De celle-ci sont issus Angelo 2, auquel Giono voulait faire vivre la Commune à Marseille, et enfin cet Angelo 3, le petit-fils, qu’il entendait faire traverser les deux guerres, et mourir aux alentours de 1945…

Cette Décalogie qu’il intitulait aussi Romance, ou encore Romanesque, est évidemment son chef-d’œuvre inaccompli. Il en subsiste aujourd’hui les livres qui forment le cycle du « Hussard », également des fragments, des esquisses et des notes : un trésor pour les archéologues de l’inédit. S’y promener, c’est un peu comme voir poser les premières pierres de Baalbeck, assister à la construction du Parthénon, ou visiter dans ses commencements le site de Palmyre. Hélas, ce n’est pas trop le moment d’aller à Palmyre… Autant se plonger dans le tome IV des Œuvres romanesques de Giono (Gallimard/Pléiade) où, par-delà les aventures d’Angelo et de Pauline, surgit en perspective cette fantomatique et envoûtante Décalogie.

* Directeur éditorial d'Actes Sud 
 
 
© © Marc Melki
 
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