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Un Arabe au pays des Soviets


Par Jabbour Douaihy
2015 - 04
Avec son nouveau roman, Le gel, traduit en français chez Actes Sud, le romancier égyptien Sonallah Ibrahim, qui a déjà une quinzaine de livres à son actif, semble régler un compte plutôt tardif avec son engagement politique. Nombre de ses romans ont d’ailleurs ponctué par leur contenu l’évolution de cet engagement avec en prétexte les différentes phases de sa vie personnelle. Ainsi, Le comité, paru en 1982, fait le procès de la politique « d’ouverture » tant décriée sur le capitalisme et la libre entreprise menée par le président égyptien Anouar Sadate. En l’an 2000, il publie Warda où il présente une figure féminine de la contestation en quête d’un idéal politique. Al-Amirkanli, qui se recoupe avec le séjour du romancier outre atlantique, raconte la confrontation de deux cultures à travers un semestre d’enseignement passé aux États-Unis par un professeur d’histoire égyptien. C’est d’ailleurs la jeunesse du même historien Monsieur Choukri qui prétendait « ne pas faire de la politique » qui est revisitée dans Le gel mais dans l’autre bord géographique et idéologique : Moscou.

Sonallah Ibrahim, l’ancien communiste qui avait interrompu ses études universitaires pour se consacrer à l’action politique et qui passera cinq ans en prison sous le règne de Nasser (1959-1964) à cause de cette appartenance, revient donc à des années de jeunesse ou il était boursier d’études dans le cadre d’un programme d’échange culturel entre les gouvernements soviétique et égyptien.

Sous le « regard constant du camarade Brejnev » placardé en portrait ça et là, ce sont les détails de la vie de ces étudiants au bord de la survie, venus pour la plupart des pays du tiers monde, Bulgares, Africains, Syriens, Algériens, Brésiliens, fils de pays où domine la dictature qui sont évoqués dans cette manière de journal aux pages inégales qui enregistre, encore une fois, les tares du système soviétique. Le système D, la petite et la grande corruption minent déjà la société et l’économie de ce pays où selon une bonne citoyenne communiste, « on fait semblant de travailler et ils font semblant de nous payer », et où le « nabor », le lot, constitue une des bases de l’échange : « Tu veux acheter un truc, mais il ne se vend qu’avec un autre truc dont tu n’as rien à faire. »

Notre héros semble souffrir de cette « haute » solitude politique et personnelle des émigrés quoiqu’il passe ses journées en bande au milieu des frustrations et de la course aux articles de consommation venus des pays de l’Ouest. L’isolement atroce des vieilles personnes seules voisine avec une vie sexuelle plutôt abondante dans un univers policé mais où les corps sentent les mauvaises odeurs et la jouissance physique ressemble fort à la consommation de mauvaises nourritures ou le petit alcool bas de gamme.

Le romancier égyptien qui semble ne pas vouloir construire un roman au sens classique du terme parvient pourtant à dessiner les contours d’un ghetto où parvenaient de loin les nouvelles du monde arabe et qui ressemblaient souvent à un cycle de reniement du socialisme dont on avait vu la montée avec le régime nassérien.

Peu de chaleur humaine pourtant, peu de sentiments authentiques dans ce « camp » socialiste peuplé de camarades internationaux, ce qui amène le narrateur à consacrer un chapitre à ces quelques mots repris chez un écrivain américain, de surcroît : « Les beaux poèmes ne sont finalement que le désir d’être aimé. ».


 
 
© Philippe Matsas
L’isolement atroce des vieilles personnes seules voisine avec une vie sexuelle plutôt abondante dans un univers policé.
 
BIBLIOGRAPHIE
Le gel de Sonallah Ibrahim, traduit de l’arabe (Égypte) par Richard Jacquemond, Actes Sud, 2015, 320 p.
 
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