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Témoignage
Un homme pétri d’espoir


Par Ziad Majed
2017 - 05
Écrire sur Samir Frangié c’est prendre l’immense risque de ne dire que peu de choses sur le parcours exceptionnel d’un intellectuel, d’un homme politique, d’un grand ami, et d’un citoyen nourri tout au long de sa vie d’espoir. L’espoir du changement, l’espoir des réformes, l’espoir du dialogue, l’espoir de l’indépendance et l’espoir du rejet définitif du fanatisme et du fatalisme. 

Entre 1996 et 2016, j’ai eu la chance d’accompagner, d’observer de près comme de loin ‒ les luttes politiques et sociétales de Samir. De les apprécier, de les partager, et parfois de les critiquer tout en réalisant à quel point elles étaient indispensables pour la survie de la politique, de la civilité et de l’idée même de ce qu’il aimait qualifier de « vivre-ensemble » au Liban.

Et si son attachement infatigable à l’espoir faisait de lui un optimiste incurable, les années 2000-2005 furent celles où son travail et son optimisme promettaient enfin de porter les fruits de tous ses combats. Car du Rassemblement de Kornet Chehwane qu’il a fondé autour du patriarche maronite Sfeir réclamant le respect de l’accord de Taëf et le retrait des troupes syriennes du Liban (suite à la fin de l’occupation israélienne du sud du pays), au « Minbar dimocrati » que nous avons ensemble cofondé avec Habib Sadek et des personnalités et forces démocratiques du pays, jamais le camp indépendantiste n’avait été aussi large et déterminé. La renaissance de la politique qui a suivi, le défi du régime syrien et de ses collaborateurs libanais, le Rassemblement du Bristol et puis l’assassinat de Rafic Hariri allaient tous donner au soulèvement de l’indépendance sa grandeur, son élan et sa puissance. Et ce n’était autre que Samir Frangié qui en lira le premier communiqué !

Ainsi, le 14 mars 2005, le plus beau jour de notre histoire libanaise, fut l’aboutissement de longues années de courage, de créativité, d’initiatives et de persévérance, dans lesquelles Samir était toujours au rendez-vous. Malheureusement pour lui et pour nous, le retour en force des considérations confessionnelles, des illusions identitaires et des alliances régionales, les attaques assassines du régime syrien et de ses alliés locaux, la guerre israélienne de juillet 2006 et l’invasion militaire du Hezbollah de Beyrouth en 2008 ont eu raison des bourgeons de notre court Printemps.

Depuis, les révolutions arabes et la lutte acharnée du peuple syrien pour arracher sa liberté et restaurer sa dignité ont redonné espoir à Samir, malgré tous les revers, les tragédies et les monstres qui surgissent dans le « clair-obscur » entre le « vieux monde qui se meurt », et le nouveau « qui tarde à apparaître », comme le disait si bien Antonio Gramsci.

L’œuvre que Samir nous a laissée, à travers sa vie de combat, puis à travers les pages de son ouvrage Voyage au bout de la violence, dédié à Anne sa compagne, en dit long sur la générosité de l’homme, la finesse de l’intellectuel et la détermination du politique qu’il était. Ses questions sur l’État, la citoyenneté, la société, autrui, la laïcité, le vivre-ensemble et toutes les expériences douloureuses et inachevées qu’il a (nous avons) vécues, resteront les nôtres. Et toute réponse que nous essaierons d’amener aujourd’hui et demain s’inscrira irrévocablement dans la continuité de celles qu’il a déjà semées sur le long chemin vers la démocratie et la « renaissance » libanaise et arabe qu’il appelait de ses vœux. 

Repose en paix, camarade. Tu vas nous manquer, mais ton espoir nous accompagnera pour toujours.


 
 
 
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