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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Témoignage
Ce pays qui est le mien


Par Georgia Makhlouf
2019 - 11
J’écris, je parle, je mange, les yeux rivés sur l’écran de mon portable. Je m’écroule de sommeil, l’appareil encore allumé dans la main. Avant de sortir, je m’assure que les routes sont praticables sur l’itinéraire que je dois emprunter, qu’il n’y a pas de barrage qui les coupe. Je sors ma carte de crédit devant un distributeur en espérant que je pourrai effectuer un retrait. Je m’étonne du nombre de personnes allant dans les rues, au cinéma ou au supermarché, comme si de rien n’était, comme si la vie se poursuivait normalement. Et les rassemblements, au Trocadéro ou place Joffre, ne me guérissent pas du mal dont je souffre?: celui d’être coupée en deux. La tête et le cœur à Beyrouth, le corps à Paris. 

Le mal empire chaque jour, l’inquiétude me ronge, je n’arrive plus à écouter les nouvelles sur France Info, je ne les comprends plus d’ailleurs, elles s’égrènent dans une langue qui m’est devenue étrangère. Aucun remède n’est possible. Alors je prends l’avion. Je rejoins ce pays qui bouillonne, où les foules grossissent chaque jour sur les places et dans les rues, où les têtes et les bras se lèvent vers le ciel, où les gens forment une chaîne humaine qui trace le chemin du Nord au Sud et réinventent dans le même mouvement des choses trop oubliées, la fraternité, la joie d’être ensemble, l’exaltation de se découvrir des horizons communs. Ce pays où c’est fête parce que la foi y déplace les montagnes. Ce pays où les doigts se pointent vers ces «?empereurs?» qui, comme dans le conte d’Andersen, croient porter des habits neufs mais vont tous nus. L’imposture de leur nudité enfin dévoilée. 

Je rejoins ce pays qui a recommencé à se rêver. Le mien.


 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166