Par Antoine Boulad
2018 - 03
Pour qu’une phrase
simple, formée d’un agencement de mots simples et d’une ordonnance grammaticale
simple, devienne poésie, il suffit qu’elle soit touchée par la grâce.
Â
Pour que soixante-quinze
centimètres carrés de papier deviennent un recueillement de poésie, il suffit
qu’une femme prenne congé de la banalité d’un jour d’été et s’enfonce dans la
longue nuit hivernale, touchée par la grâce du poète, jusqu’au « solstice et
au-delà  » !
Il suffit !
Comme celui qui traverse
le jour ou la saison à gué !
Par quelle secrète
alchimie cette suite de mots, somme toute ordinaire « On voudrait rentrer du
bois et plier le linge », éveille en nous de profonds échos, comme une nostalgie
d’absolu ? Par quelle magie que les mots contiennent déjà dans leur chair
« Nous rêvons de neige et nous parlons avec des mots doux » la poésie
s’incarne-t-elle en nous ?
Â
Cathie Barreau avait
publié en 2014 une sorte de roman intitulé Comment fait-on l’amour pendant la
guerre ? Aujourd’hui, il y a comme une récidive dans ce « nous » qui cherche
« à franchir le creux de l’année », « dans le chalet des bois », « dans la
chaleur du lit », où « nous nous endormons l’un dans l’autre », « comme si la guerre
était finie ».
Â
« Être au-delà du
solstice, c’est comme avoir traversé la mort. » Une ligne de partage verticale
divise cette cinquantaine de petits textes qui ressemblent à des haïkus en nuit
et jour, en dehors et dedans… Dehors, ce sont les « tempêtes d’hiver ». Dedans,
c’est la « torpeur de nos corps ». Dehors, « le visage des morts et les
annonces de guerre ». Dedans, « nous nous écoutons et faisons de petites
découvertes de mots ». Dehors, « des vents féroces ». Dedans, « entre nos mains
passent les livres ».
Â
Une autre ligne de
partage, horizontale cette fois, court dans ce merveilleux petit livre, poèmes
dans le poème : des mots extraits des poèmes du haut sont librement associés au
bas des pages comme en écho :
« Tisser les tempêtes/ La
fenêtre couchée
Nos esprits des maisons/
La guerre nos yeux »