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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poésie
Marwan Hoss : « Entre le fer et la soie »


Par Antoine Boulad
2019 - 09
«Il y a toute ma vie dans ce volume. » me dit-il d’entrée de jeu. Et je devine que si la pudeur ne l’en avait pas empêché, Marwan Hoss l’aurait tenu dans les bras, comme un enfant, son livre épais qui porte le titre de Jours et en sous-titre Textes 1969-2019 avec quatre lettres inédites de René Char. En publiant ce magnifique ouvrage, Gérard Pfister, les éditions Artfuyen, ont voulu créer l’événement de la rentrée poétique de Paris.

En pénétrant dans l’appartement de Marwan Hoss, la première chose qui frappe c’est un étrange contraste. Autant sa poésie se tient à l’essentiel, avec un extrême dépouillement, autant ce lieu magique accumule des objets de toutes sortes. Autant sa page est blanche, aérée, dont « la singularité, tel que le note Jocelyne François dans son journal, est le vide autour des mots, toujours simples, mais lourds de sens, avides de silence », autant l’espace où il vit et que certains pourraient qualifier d’étouffant est peuplé. Un capharnaüm de pièces rares d’art, une multitude de statuettes venues des quatre coins du monde, une collection de théières ou de mille autres choses, beaucoup de plantes, de nombreuses photos de famille mais aussi celles des grands, Picasso, François Mitterrand ou Jacques Chirac… Tout est argument pour meubler la solitude.

En découvrant l’homme après le lieu, on est frappé par un autre paradoxe. Autant le marchand de tableaux qui a 35 ans de métier dans le cœur a connu les succès les plus hauts, autant il parle des blessures de son mal-être. Autant la Galerie Marwan Hoss a vécu des années de gloire, reconnue dans le monde entier et par les plus prestigieuses fondations internationales telle celle d’Ernst Beyler, autant il ignore « Comment faire/ après toutes ces années/ de détresse et de folie/ Poursuivre, me dit-elle ».

À la lecture de certains poèmes aux accents ultimes, tels que « J’ai décidé/ de donner à la lave/ mon corps/ et aux étoiles mon sang/ et j’ai demandé au soleil de brûler/ tous mes mots », je soupçonne l’auteur de Jours d’avoir été tenté de mettre fin à ses jours. « Non, ce livre est trop beau pour que cela soit la fin », me confie-t-il.

Mais commençons par le commencement. Marwan Hoss est né à Beyrouth en 1948 d’un père libanais et d’une mère italienne. Ses études, il les fait au Collège Protestant, au Lycée français et à l’International College. Il est naturalisé français en 1980. Voici ce qu’indique la notice biographique, on ne peut plus succincte. En débarquant à Paris en 1968, ayant lu Schéhadé, Rimbaud, St-John Perse et Char, bien sûr, mais aussi Jean Genet, André Gide, Supervielle, Octavio Paz et Aragon, il va très vite forger ses armes. Marwan Hoss publie Le Tireur isolé chez Guy Levis Mano, éditeur des plus grands poètes dont Georges Schéhadé. Bientôt il exposera les plus grands artistes, Hartung, Zao Won-ki et Ben Nicholson pour ne citer que quelques-uns. Il écrira la monographie de l’œuvre de Pierre Soulages. Il sera président de la FIAC. Il dirigera une revue intitulée L’Autre…

En dépit de l’édition bilingue parue en 2008 au Dar an-Nahar, grâce à la traduction d’Antoine Jockey et sous le titre Œuvre poétique 1971-2004, ceux et celles qui, au Liban, ont lu Hoss, ne constituent qu’un cercle restreint d’initiés. Le sacré méconnu est pourtant un immense poète – auteur de poèmes « parmi les plus beaux de la langue française », selon Pierre Encrevé, en charge de la culture dans le gouvernement de Rocard, en tout cas, l’un des plus noirs et des plus lumineux de notre temps, comme le sont les toiles magistrales de son ami Pierre Soulages. « Nous construisons un monde/où la lumière sera noire le jour ».

Rarement poète aura autant aiguisé ses mots. D’ailleurs, sa lame brille dans la « Lumière du soir ». Rarement poète aura su sa vie durant se tenir à l’essentiel. À la vérité des quelques rares mots « qui ralentissent sa douleur ». « Je construirai un abri/ avec l’odeur de ton corps/ dans une solitude/ de larmes et de fer ».

Avant de prendre congé, le poète qui « dort parmi les rêves, avec le feu et la peur » me raconte, debout dans la page sans marge de son appartement, dans ce désert encombré, dans cette solitude dont il tire désormais de la force, le terrible accident de voiture duquel il échappera, indemne en apparence, et ce grâce à sa mère, protégé de la mort par elle, selon les dires du chauffeur marocain de l’autobus que sa voiture avait dangereusement cogné.

Marwan Hoss, qui n’a reçu aucune distinction littéraire, qui ne figure non plus dans quasiment aucune anthologie, qui n’a été l’invité d’honneur d’aucun festival ni Salon et dont l’œuvre n’a fait l’objet d’aucune docte étude universitaire, se prépare, avec Jours, à entrer dans l’éternité de la poésie.

Comment expliquez-vous que vos réussites ont été fulgurantes dans la capitale française ?

J’ai eu beaucoup de chance, peu de temps après mon arrivée à Paris, de rencontrer deux maîtres qui m’ont appris comment naviguer dans le monde artistique et littéraire, quoi dire et quoi ne pas faire, deux chênes, Pierre Soulages et René Char, sans l’amitié de qui je n’aurais pas été ce que je suis devenu. Mais malgré mes réussites, rien ne me comblait. Le froufrou des vernissages était un calvaire. Je voguais entre deux rives, entre l’ici et le là-bas, celle du devoir et celle de la poésie. Toute ma vie aura été un exercice d’équilibriste, parfois sur un fil de soie, parfois de fer.
Dans quelles circonstances la Galerie Marwan Hoss a-t-elle fermé ses portes, elle dont le premier événement avait été d’exposer Joan Miro ?

J’ai fermé la galerie il y a 12 ans mais bien avant déjà j’avais alerté les présidents des grandes fondations du monde, les pressant de faire front au sein de l’ICAFA, afin de résister au vent qui allait bouleverser le marché de l’art, emporté par un délire financier. Des acheteurs qui utilisaient l’art comme leur carte de visite lors de ventes aux enchères. Les cotes des artistes atteignaient des sommets vertigineux que nous n’arrivions plus à suivre jetant la suspicion auprès de nos partenaires, collectionneurs…

Les recueils que vous avez publiés ont été souvent distants de nombreuses années. Dix ans entre Le Tireur isolé et Le Retour de la neige. Six ans entre Ruptures et Déchirures. Pourquoi ?

Dans ce que j’entreprends, je me donne à fond. D’une certaine façon, je ne peux pas courir deux lièvres à la fois. Mon travail de galeriste a souvent pris le pas sur la poésie. Je sentais parfois que j’abandonnais la poésie en faveur de l’art. Maintenant, j’écris bien davantage.

Comment écrivez-vous ? S’agit-il d’un jaillissement par lequel le poème vous est révélé dans sa forme définitive ou d’un travail laborieux d’élagage ?

Au début, c’est un mot. Une locomotive qui entraîne avec elle d’autres wagons. Ce mot m’habite avec passion. Avec obsession. Parfois, pendant des jours ou des semaines. J’écris mais ensuite je n’en garde que la quintessence. Deux ou trois phrases. D’autres fois, un vers me tombe dessus et je le retranscris tel que. Par exemple ceci, aussi absurde que définitif : « Comment faire/ pour échapper à la mort/ mourir avant. » Quoi dire d’autre ? C’est clos. Plus rien. Pour moi le poème, je le dis à haute voix, à mi-voix ou sans voix.

Vous aurez finalement construit une œuvre entière autour de deux mots. La mort et le corps. Ils habitent plus d’une centaine de fois vos poèmes brefs. La mort est « omniprésente dans la grande poésie » selon Emily Dickinson. Comme pour Soulages la présence exclusive du noir.

Certains y ont vu la douleur qui m’a frappé à l’âge de quinze ans lorsque j’ai perdu ma mère…
« Je me souviens encore/ qu’avec l’eau claire du jardin/ j’ai arrosé ton corps/ et posé sur ton visage quinze roses blanches ».


 
BIBLIOGRAPHIE  
Jours de Marwan Hoss, Arfuyen, 2019, 242 p.

 
 
 
© Azdine Boujdaa
« Lorsque j’écris c’est comme/ Si je tenais ton corps/ Et sur ma feuille/ Je laisse couler/ Le lait du matin. »
 
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