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Enquête
Alain Rey : « Le plurilinguisme est un facteur de tolérance »


Par Laurent Borderie
2007 - 07

Alain Rey est une figure emblématique de la langue française. Linguiste et lexicographe de renom, maître du Petit Robert, il vient de publier Mille ans de langue française, histoire d’une passion, un fabuleux périple qui se lit comme un savant roman.

La langue française n’a de cesse de s’enrichir. N’est-ce pas un travail délicat pour un artisan du dictionnaire ?


Il est difficile d’enrichir le dictionnaire d’un mot nouveau. Un dictionnaire est une cartographie partiellement subjective du langage du moment. Je travaille avec une équipe qui est en relation directe avec le langage de la rue. Nous réalisons un dictionnaire à l’aide de 10 000 livres et de sources aussi différentes que les journaux ou les catalogues de supermarchés qui sont une véritable mine. À partir de 3 millions d’occurrences, on peut envisager d’inscrire un nouveau mot dans le dictionnaire !

Et quand un mot disparaît ?

Qui peut juger de la disparition d’un mot ? Je me souviens que Georges Perec avait, dans l’un de ses romans, inventé un personnage tueur de mots. Il n’y a que les romans pour permettre cela ! Ajouter un mot est toujours discutable, en enlever un n’est pas un impératif, et si nous manquons de place dans nos pages, nous préférons enlever une citation !

Dans votre livre, vous critiquez la politisation de la francophonie. Pourquoi ?


Je n’aime pas que l’on dise que la langue française est une langue venue de France. La langue appartient à ceux qui l’utilisent. Lorsque l’on voudra vraiment que le français soit porteur, il faudra admettre les langues vernaculaires et aller vers un vrai bilinguisme. Je note que toutes les idées généreuses sur la langue viennent des pays bilingues. Au Canada, un pays dans lequel la valeur de la langue est précieuse, la politique d’immigration fait du français un facteur de cohésion. Est-ce pour cela que de nombreux Libanais choisissent de s’y installer ? Sans le moindre doute. La langue n’a pas de passeport. Tout cela permet de créer des communautés d’échanges remarquables. Avec ses mots nouveaux, ses locutions, la francophonie enrichit notre dictionnaire et nous amène, dans la mesure où nous inscrivons des belgicismes ou des helvétismes, à nous pencher sur le français de nos régions qui est d’une richesse insoupçonnée. Lorsque la francophonie nous amène à ces réflexions, je l’apprécie, lorsqu’elle est politique, je doute.

Vous critiquez aussi l’aspect figé de la langue française…

Le français bouge, vit, n’a pas développé son vocabulaire seul, mais grâce au contact d’autres langues et cultures. Le vocabulaire français s’est alimenté du grec et du latin, d’italien et d’espagnol et a nourri la langue anglaise. Ces mouvements perpétuels laissent songeurs lorsque l’on se retrouve confronté à quelques conservateurs qui ne veulent pas de réforme orthographique. Moi qui rédige le dictionnaire, je suis pour cette réforme, elle est inévitable, nous devons la devancer !

Le français est une langue largement utilisée au Liban. En quoi son usage y est-il particulier ?

Il y a au Liban une grande exigence en matière de maintien du langage. Les Libanais sont très soucieux des langues qu’ils parlent et le plurilinguisme que l’on note dans ce pays est un facteur de tolérance et d’ouverture. On n’a pas peur de l’étranger si l’on peut communiquer avec lui, c’est en cela que l’hospitalité au Liban demeure légendaire. Je suis curieux de ce petit pays dans lequel on trouve une production culturelle et artistique d’une grande qualité. Les écrivains libanais que je connais nourrissent mon admiration, ils parlent une langue française d’une grande maîtrise qu’ils savent mêler aussi de cette remarquable poésie que l’on trouve dans la langue arabe. Le français chante dans leur bouche. Quand on constate un tel intérêt pour notre langue, on ne peut qu’être enthousiaste  !


 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Mille ans de langue Française, histoire d’une passion de Alain Rey, Frédéric Duval et Gille Siouffi, éd. Perrin, 1464 p.
 
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