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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Les Phéniciens n'ont pas qu'inventé l’alphabet, excellé dans l’industrie de la pourpre, du verre, des métaux et de la construction navale. L’ Institut du monde arabe, du 6 novembre 2007 au 20 avril 2008, nous ouvre ses portes pour nous aider à mieux connaître ces énigmatiques marins et commerçants qui ont établi des comptoirs aux quatre coins de la Méditerranée.

2007 - 09

À l’étranger, les Phéniciens ont fait l’objet de nombreuses expositions, qui portaient soit sur la Phénicie et le bassin méditerranéen (Bruxelles, 1987, et Venise, 1988), soit sur une région précise (Venise et Bologne en 2000). Les deux expositions du Petit Palais en 1995 étaient centrées sur la Carthage punique. Enfin celle de l’IMA en 1998 proposait un panorama complet de l’histoire du Liban. Il s’agit donc de traiter pour la première fois le sujet de l’art phénicien et de son expansion méditerranéenne.

Le commissariat scientifique de l’exposition a été confié à Élisabeth Fontan, conservateur en chef au département des antiquités orientales du musée du Louvre, assistée d’Hélène le Meaux, chargée de mission à l’IMA et véritable cheville ouvrière du projet qui a accepté de répondre à nos questions. Le comité scientifique, quant à lui, est composé de Leila Badre, directrice du musée de l’Université américaine de Beyrouth, Pierre Bordreuil, directeur de recherche au CNRS et membre du Collège de France, Annie Caubet, conservateur général du département des antiquités orientales du musée du Louvre, M.H. Fantar, titulaire de la chaire Ben Ali pour le dialogue des civilisations et des religions, Michel Gras, directeur de l’École française de Rome, Éric Gubel, conservateur pour l’archéologie des Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, et de Pierre Rouillard, directeur de recherche au CNRS. Les plus éminents spécialistes se sont donc penchés sur le berceau de cette exposition qui voit bientôt le jour.

Les axes de l’exposition

Le parti pris des organisateurs est de se centrer sur le Ier millénaire av. J.-C. et de développer le propos de l’exposition sur deux axes principaux?: les Phéniciens en Phénicie d’une part «?où, paradoxalement, ils demeurent peu connus?», nous précise Hélène le Meaux, et les Phéniciens en Méditerranée de l’autre, avec un accent sur le rôle particulier de Carthage, colonie de la cité-État tyrienne.

Soixante-dix musées ont été sollicités pour participer à cet énorme chantier, parmi lesquels, bien évidemment, le Musée national de Beyrouth et le Musée du Bardo à Tunis?; mais aussi le Louvre qui a largement ouvert ses collections, tout comme le Metropolitan de New York, le British Museum, les musées de Berlin ou ceux de Syrie. Mais «?les découvertes les plus récentes faites sur le territoire phénicien à Beyrouth, Tell Kazel, Tyr ou Carthage seront largement mises à contribution pour enrichir le parcours de l’exposition?», nous dit H. Le Meaux. On y verra donc de nombreux témoignages et objets inédits.

Pour ce qui est de la Phénicie elle-même, six parties seront abordées?: la géographie des grandes cités phéniciennes?; l’alphabet, sa genèse et sa diffusion, avec des supports aussi divers que des pointes de flèches en bronze, des sceaux, des céramiques ou des stèles?; la navigation et l’activité commerciale au travers de témoignages archéologiques mettant par exemple en évidence l’existence d’entrepôts à Beyrouth ou de ports en divers points de la côte méditerranéenne assurant la circulation de matières premières?; la religion sera évoquée par le biais des trônes d’Astarté ou d’images des dieux, mais aussi par des terres cuites inédites de Tell Arqa, Amrit ou Sarepta?; les pratiques funéraires seront présentées essentiellement à partir de tombes récemment fouillées à Tyr-el Bass. Enfin, l’artisanat phénicien, encore très méconnu, se déclinera autour de la pourpre et du tissage d’une part, du verre, de l’ivoire et des métaux d’autre part, soit une vision beaucoup plus riche et approfondie que ce qui a jusqu’alors été le cas.
Pour ce qui a trait au deuxième volet de l’exposition, le comité scientifique a fait le choix, très novateur, de se centrer sur les variations orientalisantes d’objets et de thèmes d’origine phénicienne, que l’on retrouve dans différentes régions du bassin méditerranéen. Ainsi, plusieurs déclinaisons seront mises en place, à partir d’un objet phénicien et de ses variations?: sarcophages anthropoïdes, figurines de terre cuite représentant des déesses féminines,   brûle-parfums, statuettes en bronze... Mais on procédera de la même façon avec des motifs particuliers de l’iconographie phénicienne dont on montrera la circulation dans le monde méditerranéen. «?Quatre thèmes stylistiques ont été choisis?: les palmettes, les sphinx, les griffons ou les scarabées tétraptères. On pourra ainsi éclairer tout à la fois une certaine unité de l’art phénicien, mais également des particularités stylistiques régionales.?»

«?Une mention spéciale doit être faite, ajoute Hélène le Meaux, pour deux ensembles importants découverts à Carthage, témoins de la période phénicienne?: la chapelle Cintas et la tombe de Yadamilk.?» À la question de savoir quelles seront les pièces maîtresses de l’exposition, elle répond que «?bien sûr, certaines pièces incontournables seront présentes, mais aussi des choses jamais encore vues comme les terres cuites récemment découvertes de Tell Kazel, ou la stèle de Cadmos et le sarcophage de terre cuite de la région d’Arwad, que la Syrie laisse sortir pour la première fois?». «?Mais surtout, précise-t-elle, ce qui est novateur c’est, plus que les objets eux-mêmes, une façon de les regrouper pour en montrer les variations, les évolutions. Ainsi les ensembles d’ivoires d’Arslan Tash et de Nimrud ou les sarcophages anthropoïdes présents en nombre et pour la première fois regroupés de cette manière.?»

Les publications prévues
Un catalogue vient compléter l’exposition. Publié chez Somogy (à qui l’on doit le très beau catalogue sur Praxitèle), il est dirigé par Élisabeth Fontan et Hélène le Meaux. Tous les membres du comité scientifique y contribuent. Les dernières découvertes et les interprétations les plus innovantes y trouvent une large place. Comme à son habitude pour toutes les grandes expositions, l’IMA publie également un livret jeune à l’usage des scolaires et des enfants. Du côté des revues, deux numéros spéciaux, de Connaissance des Arts et des Dossiers d’Archéologie, en collaboration avec l’IMA. Notons également l’ouvrage  Decade?: a decade of archaeology and history in the Lebanon  publié sous la direction de Claude Doumet-Serhal à Beyrouth, somme d’articles permettant de faire le point sur les avancées de la recherche concernant les Phéniciens. Signalons enfin des rééditions importantes?: une nouvelle parution du Découverte/Gallimard sous la responsabilité de Françoise Briquel-Chatonnet et d’Éric Gubel, et surtout l’ouvrage majeur de Sabatino Moscati, Les Phéniciens, dans la prestigieuse collection L’univers des Formes/Gallimard, dont la nouvelle édition sera revue par Françoise Briquel-Chatonnet.

Ce magnifique parcours permettra de renouveler et d’enrichir l’image habituellement associée aux Phéniciens, et dont certains stéréotypes leur collent à la peau depuis les textes antiques d’Homère, qui les dépeignait exclusivement comme voyageurs intrépides et commerçants habiles et retors.


Georgia MAKHLOUF

 

Ce peuple de passeurs

Parallèlement à l’exposition de l’Institut du monde arabe, comme pour l’accompagner et la prolonger d’une réflexion personnelle, paraît le livre de Georgia Makhlouf, intitulé Les hommes debout. Une interrogation essentielle «?autour des Phéniciens?» qui, par questionnements concentriques, éclaire autant ce peuple de marins que l’auteure elle-même.
 
De son précédent livre, Georgia Makhlouf a gardé les éclats et la mémoire. Mais cette fois, il ne s’agit plus de sonder son histoire personnelle mais de remonter à l’enfance de notre mémoire collective, aux sources de notre identité. L’auteure interroge les Phéniciens pour rétablir ce fil aussi tenace qu’invisible qui nous lie à ce «?peuple qui avait le mal d’horizon?», ce peuple qui «?a compris que le métissage est le creuset d’un monde qu’il faut sans cesse réinventer?». Et chemin faisant, elle découvre certes les navigateurs intrépides inventeurs de l’alphabet, mais elle se dévoile en même temps et accomplit ses vies antérieures, son «?identité-pont?».

Car dans ce beau texte, tout se passe comme si, à force de fouiller son héritage, Makhlouf polit son écriture?; ses fragments deviennent limpides, pourpres sur les sables de Tyr, bleus pour se mêler à l’aventure de la Méditerranée, blancs à l’assaut des flots, enfourchant le taureau, à l’image d’Europe séduite par l’exil. «?L’exil et l’écriture, les deux branches de ma généalogie imaginaire.?»

Mais il s’agit surtout d’une profession de foi universelle. À force d’aiguiser sa vision du monde, Makhlouf en arrive, avec le courage que procure la clarté, à ce formidable énoncé à l’adresse des «?faussaires de l’histoire?»?; «?car c’est être bien peu phénicien que d’avoir si peur de l’autre?».

Les hommes debout, de Georgia Makhlouf, éditions al-Manar,2007.

Antoine Boulad

 
 
 
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