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Le Courage, un essai à plusieurs auteurs
Charles Dantzig vient de lancer une nouvelle collection ainsi qu'une revue. Toutes deux ont le même nom : Le Courage.

Par Katia Ghosn
2015 - 05
Charles Dantzig est romancier, essayiste et poète. Il est également éditeur chez Grasset, une ouverture qu’il revendique au même titre de ce que furent Virginia Woolf ou T.S Eliot, grands écrivains et éditeurs remarquables. Son œuvre, multiple, compte, outre ses romans et recueils de poésie, plusieurs essais dont un Dictionnaire égoïste de la littérature française (2005) récompensé du prix de l’Essai de l’Académie française et À propos des chefs d’œuvres (2013) salué pour son originalité. Il vient de lancer la collection « Le Courage » dont la couverture, d’un beau rouge coquelicot, est déjà une invitation au voyage. La collection publie quatre livres par an : trois essais ou romans ainsi qu’une revue littéraire, annuelle, du même nom. Le premier numéro de la revue « Littérature 2015 » s’interroge sur l’état de la littérature contemporaine en France et dans le monde. Daniel Mendelsohn, écrivain et critique américain ; Laurent Le Bon, directeur du musée Picasso ; Silvana Paternostro, journaliste et auteur d’origine colombienne ; Chun Sue, romancière dissidente chinoise ; la bédéiste libanaise Zeina Bassil et bien d’autres auteurs prestigieux nous livrent leurs lectures en rupture avec la pente populiste sur laquelle glisse dangereusement la littérature aujourd’hui. La phrase du président Roosevelt « Je prie Dieu de ne pas devenir réactionnaire en vieillissant » qui est la devise de la revue sonne comme un avertissement.

Quel projet littéraire la revue défend-elle ?

Ma revue est plus qu’une revue, c’est un essai à plusieurs auteurs. Elle est internationale et s’illustre par l’emploi des langues étrangères. Ma ligne littéraire, celle que je défends depuis longtemps, est le souci de la forme. Le populisme qui déferle sur l’Occident et sur la France en particulier est l’ennemi de la forme, en politique comme en littérature. Pasolini avait raison de dire que le plus grand anarchiste est le pouvoir. Ma ligne est irrévérencieuse à l’égard de la tradition, une notion contradictoire avec la littérature. La tradition est une valeur terroriste destinée à congeler l’ordre des choses et à interdire le droit à la parole. La littérature est transmission. Elle est déférence ou amour mais pas respect.

Qui incarnerait selon vous un bel exemple de courage aujourd’hui ? 

Tout écrivain qui se constitue contre la société est un exemple de courage. Marcel Proust en est un. Issu d’une famille riche, il aurait pu se contenter de vivre en bon rentier. Mais il avait renoncé à la facilité pour devenir écrivain. Ensuite il a eu le courage de combattre ce talent pour devenir un génie. Il s’est enfermé chez lui et a écrit À la recherche du temps perdu. Écrire la « Recherche » est un acte héroïque. Hercule a vécu au XXe siècle sous le nom de Marcel Proust. Surmonter son talent pour devenir un génie, Herman Melville le montre aussi. Ses premiers livres étaient des récits de voyage qui avaient d’ailleurs beaucoup de succès. Il y renonce pour écrire son chef-d’œuvre Moby Dick. 

Le souci de la forme que vous défendez est-il la négation du politique ? 

La littérature n’est pas une déconnexion du choix politique, bien au contraire, mais même lorsqu’elle s’y oppose elle doit le faire en sauvegardant son autonomie et sa forme singulière. Moi-même j’ai écrit un roman intitulé Dans un avion pour Caracas qui est en partie aussi une charge contre le régime d’Hugo Chavez au Venezuela. L’école des romantiques français fut calomniée pour ce qui a été appelé l’art pour l’art. On a voulu y voir un désengagement de la vie et plus précisément de la politique. La littérature est certes dans la vie mais pour atteindre sa puissance maximale elle doit rester autonome et ne pas répondre aux injonctions de la société et c’est là que le populisme s’en mêle. Le populisme ne croit qu’à la littérature de sujet. Or le sujet de la littérature pour moi c’est avant tout sa forme. C’est la façon de dire qui fait qu’elle est différente de tout autre mode de parole et que sa parole est plus forte et plus durable.

Qu’en est-il des autres livres de la collection ? 

J’ai publié Si je m’écorchais vif, un brillant essai contre le narcissisme en littérature dans lequel Laurent Nunez prend pour sujet trois écrivains qui se sont retirés d’eux-mêmes à un moment donné, Victor Hugo, Jules Laforgue et Arthur Rimbaud. L’autre livre, Eroica, est un prototype d’une vraie transformation littéraire. Le jeune romancier Pierre Ducrozet s’empare de la personne de Jean-Michel Basquiat et en fait un personnage de roman. Il capte la pulsation de New York dans les années 80 où ce jeune garçon du Bronx est devenu en l’espace de quelques années l’un des principaux artistes contemporains. 

À quoi sert la littérature ? 

L’utilité de la littérature est proportionnelle à son inutilité. Qui décide de ce qu’est l’utilité ? Les gens croient qu’ils vivent d’argent sans savoir qu’ils vivent de poésie. Cela se manifeste parfois dans leur vie dans des circonstances très graves. Je pense tout d’un coup à ce Polonais interné dans les camps pendant la Seconde Guerre mondiale et qui, pour survivre, s’était rappelé tout ce qu’il avait lu de Marcel Proust. Son cahier posthume s’appelle justement Proust contre la déchéance.




 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Revue Le Courage Nº1 de , sous la direction de Charles Dantzig, Grasset, avril 2015, 448 p.
 
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