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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Au fil des jours...
 
Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul
Zahlé-sur-Berdawni


2013 - 06
C’est une bourgade assoupie au bord d’un fleuve jadis impétueux auquel les habitants auraient emprunté leur bravoure, une ville-village sensuelle et gourmande où l’arak coule à flots dans les guinguettes fraîches à l’ombre des peupliers. C’est le pays des poètes et des érudits, des originaux et des sages, du rire grivois et des deuils déchirants. C’est l’empire des surnoms burlesques dont on affuble tout un chacun, « Tito » pour un peintre ayant travaillé quelque temps en Yougoslavie, « Chopin » pour un pianiste du dimanche, « le Maréchal » pour un amateur de décorations, « Tio » pour un tonton émigré de Colombie, et d’autres plus mystérieux encore comme « le roi jaune », « la chauve-souris » ou « la nuit ». C’est le lieu où on déguste dans une fausse grotte aux stalactites une glace aux amandes et au caramel à faire pâlir d’envie la Maison Bertillon elle-même, où les galettes au lait fondent délicieusement dans le palais et où le jeudi est traditionnellement consacré à déguster successivement une « kibbé nayyé », une « kibbé bil sayniyé » et une « kibbé au kichk », seul le dessert échappant à cette monochromie, la glace au « kibbé » n’étant pas encore, semble-t-il, au point. C’est la ville où on sait faire la fête, mais où les condoléances sont une véritable institution dominicale, justifiant une garde-robe spéciale en noir et blanc pour les femmes ainsi que l’adage « vivre à Beyrouth, mais mourir à Zahlé ». C’est le pays où la politique est un feu sacré, une passion dont les hommes discutent âprement, faisant et défaisant les clans et les alliances chez « Adonis », le café de la place où nulle femme ne songerait à s’asseoir. C’est la ville de la joie de vivre aux portes toujours ouvertes, où la gouaille est reine et où on pique-nique dans les « maisons des vignes », d’étranges résidences secondaires à quelques mètres de là. Mais c’est aussi une ville dévote, dominée par l’immense statue de la Sainte Vierge, où l’on fête sainte Rita dans la rue et où la procession du jeudi du Saint-Sacrement donne lieu à un jour férié que nul banquier n’oserait défier en ouvrant son établissement.

C’est, comme on le dit, « la fiancée de la Békaa », c’est ma ville d’adoption, c’est Zahlé.
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166