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Bande dessinée
Le 9e art, entre crise et mutation


Par Ralph Doumit
2017 - 02
Thierry Groensteen est un personnage comme le monde de la bande dessinée en a peu connu : théoricien, analyste, historien, il trace depuis de longues décennies son chemin de commentateur avisé du monde du neuvième art. On se souviendra à titre d’exemple qu’il dirigea notamment, dans les années 80, le journal critique Les Cahiers de la bande dessinée, durant quelques années marquantes pendant lesquelles il proposa des études solides autour d’un art en quête de légitimation. Il travaille actuellement au Centre national de la bande dessinée d’Angoulême, pour lequel il dirige la revue en ligne, au contenu riche et pointu : NeuviemeArt 2.0

Voici qu’il publie coup sur coup deux ouvrages aux éditions Les Impressions nouvelles, qui jettent, de deux manières différentes, un regard avisé sur le monde de la bande dessinée contemporaine.

Le premier s’intitule avec beaucoup de justesse Un Art en expansion. Il se donne pour objectif de montrer les chemins par lesquels la bande dessinée, depuis trois décennies, et par le truchement d’œuvres audacieuses et ambitieuses, casse tour à tour les frontières qui définissaient son champ d’action traditionnel en explorant des territoires nouveaux, tant thématiques que narratifs. Dix albums ou séries d’albums sont passés au crible de l’analyse de Thierry Groensteen, toujours dans l’optique première de définir le rôle qu’ils ont eu dans l’expansion du neuvième art.

Certains albums de cette sélection ont déjà connu une littérature critique et des commentaires nombreux (on pense à La Balade de la mer salée de Pratt ou à Watchmen de Moore et Gibbons), mais Thierry Groensteen, par son sens de l’articulation des idées, par son esprit de contextualisation, les éclaire avec une érudition qui, à la lecture, finit par avoir un goût d’évidence.

L’ouvrage pourtant ne se cantonne pas à des albums connus du grand public et a le mérite d’attirer l’attention sur des œuvres au retentissement plus modeste mais dont la place dans ce chemin vers l’expansion est centrale.

Le second ouvrage, bilan global du secteur et intitulé La Bande dessinée au tournant, fait directement suite à un sursaut initié par les acteurs du métier, et notamment les auteurs, quant à la nécessité de repenser le circuit éditorial. Victime d’une surproduction qui pérennise certains éditeurs mais fragilise les conditions de travail de nombre de créateurs, une crise semble poindre. En a découlé la création des États généraux de la bande dessinée, organisme de réflexion et de dialogue autour du métier, lors de l’édition 2015 du Festival de la BD d’Angoulême. Le livre de Groensteen a pour vocation d’accompagner cette démarche, proposant un bilan serein et posé sur lequel il est possible de s’appuyer pour avancer. Dans un contexte où le ressenti pourrait cloisonner quelque peu les positions de chacun, le livre de Thierry Groensteen a pour atout de prendre tour à tour des points de vue différents et de ne pas se perdre dans un abus d’interprétation qui brouillerait le propos.

À la fois ode aux potentiels de la bande dessinée et cri d’alerte, ces deux ouvrages dialoguent à merveille, le premier rappelant avec force ce que le second tente de sauver. 

Viendra pourtant peut-être le jour où, l’expansion du neuvième art continuant, ses usages se démultipliant tant et de manière si variée, que de tels ouvrages n’auront plus lieu d’être : englober d’une réflexion une pratique qui, sans mauvais jeu de mots, quitte sa bulle, deviendrait illusoire.

Mais c’est sur ce chemin de l’expansion qu’un accompagnement critique comme celui proposé par Thierry Groensteen semble le plus bienvenu.


 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166