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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée
Lamia Ziadé : retour à Babylone


Par Ralph Doumit
2020 - 02


2010. Lamia Ziadé publiait une première version de Bye Bye Babylone. Atypique, le livre se présentait comme une compilation d’illustrations entrecoupée de textes retraçant les premières années de la guerre du Liban. Elle enchaîne ensuite, dans le même registre et faisant appel à la même alternance entre le texte et les images, avec les deux ouvrages Ô nuit, ô mes yeux en 2015 (consacré au Caire) et Ma très grande mélancolie arabe en 2017 (traitant plus largement du monde arabe). Dix ans après la parution de Bye Bye Babylone, l’artiste revisite aujourd’hui le premier opus de la série, en le complétant de nombreuses nouvelles illustrations et en revisitant ses textes.

Sous une couverture aux doux accents nostalgiques, reprenant les codes de vielles affiches des années 60, Lamia Ziadé nous invite à plonger dans une chronologie s’étalant de 1975 à 1980.

Sur plus de 250 pages, c’est une expérience particulière, qui mêle souvenirs hautement affectifs, personnels, et relation des faits documentée. S’y entrecroisent le ressenti de Lamia Ziadé enfant (elle avait sept ans lorsque la guerre a éclaté), et le regard plus adulte, parfois neutre parfois commentateur, de Lamia Ziadé adulte. Au fil des images et des mots, se dresse le portrait des années qui virent la guerre naissante virer au conflit noueux inextricable et s’enliser chaque fois plus profondément dans la durée.

La force de ce livre est peut-être là, dans l’apaisement qui en émane, alors que planent le long des pages les horreurs d’une guerre sanglante et généralisée. Comme Zeina Abi Rached dans un autre registre, Lamia Ziadé retrouve dans l’enfance, dans les moments passés en famille en temps de guerre, des motifs d’apaisement, des îlots de bonheurs. Sans concession dans sa relation des faits de guerre, elle propose pourtant une ode à l’humain, et à sa capacité à vivre malgré tout.
Pour raviver le souvenir de ces années, Lamia Ziadé choisit de juxtaposer des objets individuels qui dressent en s’additionnant le panorama plus vaste d’une époque. Comme une peinture en creux, l’âme d’une décennie est incarnée par des produits de consommation, des séries de noms propres, des visages, qui valent mille mots pour titiller la mémoire et réveiller les sens. C’est que de ces objets et ces visages ressort une âme, car le trait de pinceaux épais, spontané et vibrant de Lamia Ziadé les synthétise et en extrait l’essence.

Il y a dans la démarche de Lamia Ziadé, quelque chose de naturel : les images sont dessinées par envie, probablement dans un ordre qui doit plus à l’instinct qu’au calcul. Le tout semble ensuite passer par la table de montage, déroulant un rythme qui donne la part belle aux pages muettes, où le dessin prend ses quartiers et qu’on goûte avec d’autant plus d’intensité.

Retour sur le passé, l’ouvrage n’en demeure pas moins une sonnette d’alarme utile, en mettant en lumière au fil des pages l’absurde engrenage qui mène au pire. Dans un pays où les choses peuvent basculer d’un coup de baguette, par le calcul des uns ou des autres, la piqûre de rappel n’est pas inutile.
 
 
 
Bye Bye Babylone de Lamia Ziadé, P.O.L., 2019, 384 p. 

 


 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166