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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Musique
Deux siècles de création libanaise


Par Georgia Makhlouf
2011 - 12
Il aura fallu à Zeina Saleh Kayali pas moins de six années de travail. Il lui aura fallu 53 rencontres, des dizaines de lettres et de questionnaires adressés par courrier ou par mail, un patient et minutieux travail d’enquête et des centaines de coups de fil, de conversations formelles ou informelles. Il lui aura fallu fréquenter assidument les salles de concert, à Paris ou à Beyrouth, lire les comptes-rendus des concerts auxquels elle n’avait pas assisté et consulter les livres et articles des spécialistes. Il lui aura fallu la complicité de Vincent Rouquès, chef de chœur et grand spécialiste d’analyse musicale. Il lui aura surtout fallu une passion sans limites pour la musique et un attachement inconditionnel à ses racines libanaises pour venir à bout de cet immense chantier. 

Compositeurs libanais des XXe et XXIe siècles est le résultat de cette périlleuse aventure qu’elle aura menée avec ténacité. L’ouvrage répertorie 139 compositeurs dont 98 sont toujours vivants et couvre une période qui s’étend de la fin du XIXe siècle à nos jours. Ce n’est en effet que vers les années 1890 que commence à se dessiner un courant musical libanais, alors qu’auparavant la musique du Moyen-Orient est principalement ottomane, traditionnelle et de transmission orale. C’est Wadih Sabra, père fondateur de la musique savante libanaise, qui inaugure le mouvement d’ouverture à la musique occidentale. Sabra se rend à Paris en 1892 pour étudier avec Camille Saint-Saëns, et il composera des opéras et oratorios marqués par l’influence occidentale quand bien même leurs livrets étaient en turc ou en arabe. Il fonde en 1910 à Beyrouth une école de musique qui deviendra plus tard le Conservatoire national, et il compose en 1927 l’hymne national libanais. Le livre permet de découvrir son parcours, tout comme ceux des autres compositeurs répertoriés, racontés avec précision et finesse et qu’on lit comme autant de petites nouvelles tant la langue reste élégante et fluide. De Hiba al-Kawas qui « composait avant d’être née », à Georges Baz qui affirme que « quand on fait silence en soi, on entend toute la musique du monde » ; de Abdel Rahman el-Bacha qui commence à jouer en cachette à Béchara el-Khoury qui boit la musique dès le berceau ; de Marcel Khalifé qui chante Mahmoud Darwich et subit les foudres des autorités religieuses à Julia Sfeir el-Khoury qui compose sa musique intérieure après le tragique décès de son fils, chaque portrait est une découverte, chacun est une rencontre.

Mais cet ouvrage n’a pas vocation à rejoindre les rayons des bibliothèques aux côtés d’autres ouvrages de référence qu’on est heureux d’avoir mais qu’on finit par oublier. Son ambition est de communiquer aux lecteurs la curiosité d’entendre ces compositeurs, aux interprètes le désir de les jouer, aux éditeurs la nécessité de les publier et aux directeurs de salles de concerts et de festivals, l’urgence de les programmer. Son succès ne se mesurera donc pas en nombre d’exemplaires vendus, mais dans sa capacité à susciter un vaste mouvement de mobilisation en faveur d’un patrimoine musical d’une incroyable diversité, riche de courants et d’influences multiples et dont nous aurions tout lieu d’être fiers.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Compositeurs libanais des XXe et XXIe siècles de Zeina Saleh Kayali, Séguier, 345 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166