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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Du salafisme à la poésie française, dire adieu à l'Orient


Par Jabbour Douaihy
2018 - 06


Le Petit Terroriste du journaliste et poète syrien né en 1987, Omar Youssef Souleimane, est un récit autobiographique où les personnages secondaires, comme dans la vie réelle, n’ont pas de consistance romanesque puisque le « je » narrateur domine l’histoire. Le livre est découpé en petits chapitres très alertes avec des chutes soignées comme dans des mini-nouvelles, des titres souvent prometteurs d’actualité (« Charlie Hebdo », « Un riyal pour tuer un juif » ou « Le paradis et le jihad »…) et un style léger qui jure avec un sujet si épineux et si controverse. On pourrait pour sa justesse reprendre la quatrième de couverture qui présente le livre comme pétri de sensibilité, d’humour et… d’islam. 

Le début retrace une « aventure » souvent détaillée dans la littérature narrative syrienne : la fuite devant les Renseignements généraux qui cherchent assidument le jeune Omar et peuvent le poursuivre même en Jordanie où il a réussi à passer. Son crime est d’avoir filmé les victimes tombées sous les coups du régime dans les manifestations de protestation. L’ambassade de France à Amman finira par l’exfiltrer dans l’Hexagone où les poèmes (surtout ceux d’Éluard) et les chansons de Brel et de Piaf le familiarisent avec son pays d’accueil. Il ne croit pas au hasard s’il s’y installe dans une chambre de bonne, « rue de Paradis » et s’y fait probablement aider pour écrire dans la langue de Voltaire l’essentiel de son témoignage : « La lune est presque pleine (…) j’entends l’écho de mes pas, sourd dans le silence de la nuit comme une voix qui me raconterait cette époque de ma vie qui a commencé à la fin du siècle dernier, en Arabie saoudite. »

En effet, quatre ans (1999-2004) passés dans la capitale Riyad sortie du désert au début du XXe siècle, ont placé le jeune homme devant le choix crucial de sa vie : se laisser entraîner sur la pente djihadiste à laquelle tout l’invitait dans son quotidien ou écouter une petite voix intérieure rebelle sortie on ne sait d’où et qui le libèrera du carcan religieux oppressant. La violence est partout, dans le mépris réservé aux « autres », les Syriens de la famille de l’auteur en l’occurrence, dans le harcèlement que l’enfant subit à cause de sa peau trop blanche et soyeuse ou dans les coups de bâtons administrés aux cancres. La première leçon à l’école où la drogue circule facilement porte sur le sacrifice d’animaux qu’il faut faire en honneur à Allah, les premiers éveils sexuels de celui qu’on a oublié de circoncire sont vécus dans la culpabilité la plus totale, le sort des femmes est d’être battues en cas de « désobéissance » et tout se passe sous l’œil sévère du Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice. Et puis viennent les appels au djihad avec la promesse de jouir des femmes captives, à l’école ou à la télévision, suivis par la joie et le sentiment de revanche que procurent un peu partout les attentats du 11 Septembre. Malgré la politique officielle, Ben Laden dont les vidéos sont visionnées avec ferveur passe pour un exemple à imiter: « Quand l’un de nous faisait des difficultés à table, ma mère lui remplissait son assiette et disait : Mange bien pour devenir un grand djihadiste comme Oussama ! »

Omar en « petit terroriste » rêvera d’un projet d’expédition en Afghanistan, tout comme son père d’ailleurs, mais la « révélation » viendra un jour à travers le même outil de recrutement des djihadistes, le site de discussion sur Internet : un certain Mohammed 99 lui dévoilera très succinctement toute la violence du texte coranique. Le petit Syrien n’attendait que ça, une voix qui ferait écho aux questions qu’il n’a cessé de se poser : « De ma fenêtre, le coucher du soleil avait la couleur du sang. J’ai senti que la montagne qui reposait sur mes épaules avait disparu. »
 
 
BIBLIOGRAPHIE 
 
Le Petit Terroriste de Omar Youssef Souleimane, Flammarion, 2018, 206 p.
 
 
 
© Claude Gassian / Flammarion
« Quand l’un de nous faisait des difficultés à table, ma mère lui remplissait son assiette et disait : Mange bien pour devenir un grand djihadiste comme Oussama ! »
 
2020-04 / NUMÉRO 166