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La voix humaine du violoncelle


Par Fifi ABOU DIB
2012 - 06
Un écrivain engagé sert son idéal en écrivant. Mais comment se mobilise un musicien engagé ? En faisant taire son instrument, comme l’a fait Pablo Casals en résistance contre Franco et les totalitarismes. Ce musicien surdoué, reconnu comme le Mozart du XXe siècle, né en Catalogne en 1876 et mort à 97 ans, a redonné ses lettres de noblesse à un instrument encore orphelin, le violoncelle. Son patriotisme catalan se sera étendu, en près d’un siècle, à l’humanité entière, le transformant en ouvrier de paix. Réfugié à Prades, petite ville des Pyrénées orientales, en 1939, il y consacre son temps à l’aide aux réfugiés et à la visite des camps de concentration. Il crée avec les habitants des liens si forts que sur son passage « les chapeaux se soulèvent et les bustes s’inclinent ». En 1950 est créé à Prades un festival de musique dont Casals sera le parrain. Par son aura exceptionnelle, Pablo Casals attire dans cette petite ville les plus grands virtuoses du monde entier. Ce festival d’une exceptionnelle longévité porte aujourd’hui le nom de « Festival Pablo Casals, Prades ».

De mère pradéenne, Jean-Jacques Bedu, vice-président du centre méditerranéen de littérature et délégué général des prix Méditerranée, est immergé très jeune dans l’ambiance de ce festival. Rien d’étonnant, après une biographie de Maurice Magre et une autre de Francis Carco, qu’il s’intéresse, après un crochet par une histoire de la bohème parisienne (Bohèmes en prose, Grasset 2009), au personnage attachant de Pablo Casals. Dans la collection Découvertes de Gallimard, série Arts, en 128 petites pages et au terme de la compilation d’une impressionnante bibliographie, discographie, filmographie et iconographie ainsi que de nombreux témoignages, il ne se contente pas de raconter l’histoire de ce musicien humaniste, voire humanitariste : il le donne à aimer.

L’enfance de Pablo Casals : des parents musiciens, un père qui rêve pour lui d’une carrière de charpentier (plus lucrative !) et une mère qui croit à son talent jusqu’au sacrifice. Vendrell, une toute petite ville au sud de Barcelone. Le son du piano qui résonne dans la maison. À quatre ans, Pablo reconnaît à l’aveugle les accords que plaque son père sur le clavier. À 11 ans, il entend pour la première fois le son d’un violoncelle « si tendre et humain, terriblement humain », dit-il. Sa mère décide de se serrer la ceinture pour offrir à Pablo des études de violoncelle à Barcelone. Et c’est là, en 1890, à 14 ans, qu’il découvre un exemplaire poussiéreux des Six Suites pour Violoncelle seul de Bach. Si ardues que quasiment plus aucun musicien ne s’y intéresse. Non seulement cette découverte marquera un tournant dans son apprentissage, mais il s’en servira toute sa vie pour ses répétitions, perfectionnant sa technique, établissant de nouvelles règles pour tenir le violoncelle, faciliter le mouvement des mains, libérer le corps et faire oublier l’instrument pour ne laisser place qu’à la musique.

Ainsi commence un parcours qui fera de Pablo Casals adolescent le filleul de la régente Marie-Christine qui le présente à la cour d’Espagne et le confie au comte de Morphy. Durant la Première Guerre mondiale, il part aux États-Unis où il réalise ses premiers enregistrements. Dans l’entre-deux-guerres, il crée à Barcelone son propre orchestre. Surtout, en 1926, il crée l’Association ouvrière de concerts pour empêcher son art de devenir le privilège d’une élite. Avec toujours la Catalogne au cœur, il tente vers le milieu des années 40 de convaincre la Grande-Bretagne de se retourner contre Franco. En vain. Il décide alors de ne plus jouer. Plutôt, il se laisse convaincre de ne plus jouer qu’à Prades où le monde entier le rejoint. On referme ce petit livre truffé de documents et d’histoires avec l’envie irrépressible d’écouter « la voix humaine du violoncelle » sous l’archet de Casals… et aussi d’aller à Prades à la rencontre de son ombre bienveillante qui ne manquera pas de flotter sur le festival, du 26 juillet au 13 août.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Pablo Casals, un musicien, une conscience de Jean-Jacques Bedu, Découvertes Gallimard Arts 2012. 128 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166