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Biographie
Michel Butor, un promeneur attentif
Le dernier livre du grand écrivain, disparu en août 2016, est une brève autobiographie « montagnarde ».

Par Jean-Claude Perrier
2018 - 06


Michel Butor, outre son talent d’écrivain, son immense culture, sa simplicité et son attention aux autres, a toujours fait preuve d’un grand sens de l’humour. Il aimait le farfelu, les coïncidences, les clins d’œil et les pirouettes. C’est sur une ultime pirouette qu’il a clos son œuvre, diverse et si vaste que lui-même ne se souvenait pas du nombre exact d’ouvrages qu’il avait publiés, depuis Passage de Milan, paru en 1954. 

Mort le 25 août 2016, à presque 90 ans, le dernier ouvrage auquel Butor aura travaillé sera donc La Mémoire des sentiers, qui inaugure chez Arthaud une nouvelle collection intitulée « Versant intime ». Le principe en est simple : une première partie constituée d’entretiens réalisés par le directeur, Fabrice Lardreau, journaliste spécialisé à Montagne & Alpinisme, où il est question du rapport de l’écrivain invité avec la montagne, thème qui ne demande qu’à s’élargir, et permet parfois d’éclairer d’un jour inattendu une vie et une œuvre ; et une seconde constituée d’une brève anthologie de textes en rapport avec le thème, « Lectures montagnardes », sélectionnées et présentées par l’auteur.

Ici, Butor le cosmopolite, le grand voyageur, qui a longtemps vécu et enseigné la littérature française hors de l’hexagone (en Égypte, aux États-Unis, en Suisse), a choisi un extrait de La Grande Peur dans la montagne du Suisse Ramuz, réflexion sur la langue orale, un de La Montagne magique, de l’Allemand Thomas Mann, sur l’isolation par rapport au reste du monde du pensionnaire d’un sanatorium, un des Notes de ma cabane de moine, de Kamo no Chômei, moine japonais qui vécut au XIIIe siècle, où il décrit son ermitage en montagne et, enfin, La Lettre de Gênes, envoyée par Arthur Rimbaud en 1878 à ses amis, juste avant de s’embarquer définitivement. Butor y voit, non point un renoncement à l’écriture, ainsi qu’on le lit généralement, mais, estime-t-il, « (Rimbaud) n’a pas abandonné la littérature durant sa vie éthiopienne : il a continué d’écrire, mais d’une tout autre manière ». 

Ce choix de textes et de leurs auteurs est symbolique et révélateur des propres préoccupations de Michel Butor, de son parcours, qu’il retrace à grandes guides dans la première partie du livre, en sept étapes, depuis son enfance de petit Nordiste né dans un plat pays, qui se rêvait peintre et musicien, et est finalement « tombé dans la littérature ». La montagne, pour lui qui s’était installé depuis de longues années dans un village des Alpes, non loin d’Annemasse, et avait baptisé sa vaste maison, une ancienne ferme, « À l’écart », c’était la promenade (et non la randonnée, ni l’alpinisme) en solitaire, et la rêverie qui l’accompagne, nécessaires à l’inspiration. Tout comme les voyages. 

À un moment, il remarque que très peu d’écrivains ont été, jusqu’à présent, capables de « faire passer en mots » les paysages aériens. « Nous ne sommes qu’aux prémices d’un vaste champ littéraire », conclut-il. Puisse ce beau livre, modeste mais en rien anecdotique, inspirer tous les écrivains-voyageurs, qui doivent beaucoup à l’auteur, entre autres, du Génie du lieu. Il l’avait.
 
 
 BIBLIOGRAPHIE 
La Mémoire des sentiers de Michel Butor, Arthaud, 2018, 150 p.
 

 
 
D.R.
La montagne, pour Butor, c’était la promenade en solitaire, et la rêverie qui l’accompagne, nécessaires à l’inspiration. Tout comme les voyages.
 
2020-04 / NUMÉRO 166