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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Biographie
Un prélat maronite engagé


Par Melhem Chaoul
2018 - 09


Au-delà de la classique autobiographie, Étapes et jalons (Marahel wa mahatat) de Mgr Youssef Béchara constitue un témoignage saisissant de la dialectique des rapports entre le temporel et le spirituel. En onze étapes et quatorze chapitres, Sayyedna Youssef nous montre, nous démontre comment dans sa vie et dans celle de son Église, le spirituel ne peut trouver son accomplissement final que dans le monde temporel et comment le monde temporel ne peut avoir de sens que dans l’éthique religieuse. 

Deux moments forts, deux relais-jalons illustrent parfaitement cette assertion : Le mouvement « Église pour notre monde » et « Le rassemblement de Kornet Chahwan ». 

Le mouvement « Église pour notre monde »
Le mouvement « Église pour notre monde », (cf. pp. 112-119) a débuté en juin 1966, avec des prélats de l’Église maronite jouissant d’une forme de notoriété et d’influence auprès des jeunes, due à leur activité socio-politique. Ce groupe formé par Hamid Mourani, Hector Douwayhi, Guy Njeim, Makram Kouzah, Youssef Béchara et d’autres… sera à l’origine d’un large mouvement réformateur au sein de l’Église. 

Objectif de départ : analyser la situation réelle de l’Église maronite à la lumière des enseignements du Concile de Vatican II et des expériences des Églises du monde occidental. Le groupe finira par inclure des « laïcs » et adoptera une forme structurée de travail. Cette coopération avec les laïcs culminera à la fin des années soixante avec la mise en œuvre d’objectifs inédits : 
- Établir et mettre en place une doctrine qui sera celle de l’Église et devra influencer les jeunes et les intellectuels
- S’ouvrir sur le monde arabe
- Définir et renouveler le sens de l’engagement politique
- Envisager la question de la coopération avec les membres des autres communautés chrétiennes. 

Le Mouvement s’étend si largement et trouve des échos si favorables que la décision est prise d’organiser un Congrès et de faire appel à un substantiel apport d’acteurs « laïcs » tels que Charles Hélou, Abdel-Aziz Chéhab, Michel Asmar, Robert Farhat, et autres… Ce congrès s’est tenu en décembre 1973 avec la participation de 239 personnes.
Le déclenchement de la guerre du Liban en 1975 empêchera la mise en place de ses principales recommandations. Cependant, à partir de cette année, le processus du conflit armé imposera son rythme et sa thématique à l’agenda de travail du Mouvement : le Liban et la cause palestinienne, la laïcité, la réforme du régime politique sur la base de la décentralisation et le concept d’arabité. 

Ce vaste chantier imposera la tenue en 1977 d’une seconde conférence élargie avec 150 participants et cela au couvent de Notre-Dame du Puits. Elle établira un diagnostic de la crise politique qui sévit dans le pays et des réformes souhaitées dans les domaines du régime politique, de la question sociale et de l’éducation.

Au cours de l’immédiat après-Taef, le Mouvement s’impliquera de plus en plus dans l’engagement pour l’avenir du Liban et se trouvera au cœur de la dynamique de la préparation du « Synode pour le Liban » et des « Orientations apostoliques ». 

Le Rassemblement de Kornet Chahwan
L’idée de départ de la réalisation de ce projet (pp. 250-265) s’inscrit dans la lignée de l’Exhortation apostolique de 1997, « Une nouvelle espérance pour le Liban ». En effet, l’analyse de la situation concrète du pays laisse apparaître une image désastreuse : celle d’un régime politique moribond soumis à la tutelle syrienne. Un groupe restreint, groupant notamment Samir Frangié, Farès Souaid, Simon Karam et Samir Abdel Malak entreprend de se réunir au siège de l’Evêché de Antélias (Diocèse de Mgr Béchara) pour mettre en place une mouture structurée pouvant canaliser et orienter l’état de déception et de frustration diffus dans toutes les catégories sociales du pays. En 1999, un rassemblement élargi se tient au siège de l’Episcopat à Kornet Chahwan et promulgue un texte exhaustif ayant pour titre : « Un manifeste pour le renouvellement de la signification du Liban ». En avril 2000, Le Rassemblement, qui s’est enrichi d’une vingtaine de personnalités politiques, décide que les rencontres seront désormais régulières et que ce groupe de politiciens fera face aux défis uni et les rangs serrés.

Le 20 septembre 2000, la Conférence des Évêques maronites réunie à Dimane demande expressément, dans un communiqué, le retrait des troupes syriennes du Liban. Le rassemblement persévérera sans relâche dans cette revendication jusqu’à ce que cet objectif soit atteint en avril 2005.

C’est avec une amertume à peine cachée que Monseigneur Béchara constatera que les élections de 2005 révèlent les divergences d’intérêts occultées pour la bonne cause plaçant le Mouvement sur le chemin de la dislocation.

Cependant, une remarque importante s’impose : Mgr Béchara ne se contente pas de relater les faits et de rappeler les prises de position. Il pose sur ceux-ci le regard critique de l’homme juste, objectif et équitable. Ainsi, c’est un bilan implacablement rigoureux de l’ensemble des travaux du Rassemblement (pp. 259-261) qu’il parviendra à dresser.

Il reste que cette autobiographie/témoignage ne se réduit évidemment pas à ce que notre auteur dénomme « l’œuvre nationale ». Aussi bien le sociologue que l’historien découvrira, tout au long de l’ouvrage, la face cachée de la vie religieuse et ecclésiastique dans l’Église maronite. Contrairement à l’image stéréotypée d’une structure sclérosée et figée, Mgr Béchara nous présente une vie interne des institutions ecclésiales plutôt dynamique, fondée sur une qualité de relations et d’approches portées par un réseau de prêtres engagés et persévérants ayant le sens du travail en équipe et conscients de l’importance de la réalisation effective des objectifs assignés. 

Ainsi, ce livre s’inscrit également dans le domaine de la sociologie religieuse ce qui en fait un document de référence incontournable en la matière.
 
 
BIBLIOGRAPHIE 
Étapes et jalons (Marahel wa mahatat) de Mgr Youssef Béchara, 2018, 334 p.
 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166