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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Ibrahim Tabet
2017 - 06
C’est en Afrique, berceau de l’humanité, qu’apparut l’australopithèque, premier hominidé bipède, il y a environ 4,2 millions d’années. La libération des mains que permet la position debout entraîna à son tour l’accroissement de la taille du cerveau qui distingue l’espèce homo des singes. Il s’est passé autour de 2 millions d’années entre cette apparition et celle de l’homo habilis puis de l’homo erectus qui développèrent les outils de l’âge de pierre. Elle fut suivie par la naissance des Néandertaliens et enfin, il y deux-cents mille ans, de l’homo sapiens qui représente le stade final de la transformation anatomique de l’espèce. Notre ancêtre maitrisait déjà des rudiments de langage, il y a environ 70?000 ans. Puis survint, il y a dix mille ans, au néolithique, l’invention de l’agriculture, suivie de celle de l’écriture à Sumer, il y a 5200 ans. On assiste dès lors à une accélération du changement technologique. Il s’écoule par exemple 4900 ans entre l’invention de l’écriture et celle de l’imprimerie (en 1450). Cinq cents ans entre cette dernière et le lancement du premier ordinateur commercial (en 1952), et soixante ans entre celui-ci et celui des Smartphones. Ces progrès se sont accompagnés d’une évolution parallèle des croyances religieuses. C’est par la première tombe que l’homo sapiens se distingue des premiers hominidés. Les rituels de la mort attestés par les objets enterrés autour des corps des défunts témoignaient de l’idée qu’il existait une vie dans l’au-delà. La croyance en l’existence de causes surnaturelles aux événements naturels entraîna l’apparition, au paléolithique, de l’animisme, forme primitive de religiosité sacralisant la nature. De l’animisme des chasseurs-cueilleurs, l’humanité est passée au polythéisme puis, s’agissant des trois religions abrahamiques, au monothéisme. Selon la théorie évolutionniste dominante, chacune de ces grandes phases de l’histoire des religions représente un progrès par rapport à la phase précédente?; la pensée religieuse évoluant vers une sophistication et une abstraction plus grande. La question de savoir si le monothéisme constitue un progrès par rapport au polythéisme antique et aux autres croyances reste cependant posée. L’idée de l’unicité de Dieu est certes plus satisfaisante intellectuellement, mais celle du Dieu personnel des trois monothéismes ne l’est pas davantage que celle d’un Absolu impersonnel formulée par l’hindouisme. Et force est de constater que les religions monothéistes n’ont pas toujours représenté une avancée au plan moral. Aujourd’hui encore, la majorité des hommes vit sous l’influence de religions non monothéistes et n’en prônent pas moins des idéaux éthiques. Les religions n’échappent pas à la loi du changement. L’idée qu’on se fait de Dieu n’est plus la même aujourd’hui qu’hier. Max Weber fait de l’histoire de la modernité, celle du «?désenchantement du monde?», de la sortie du monde magique de la religion et de la croyance irrationnelle dans l’action de Dieu dans le monde. La sortie du religieux pourrait finalement signifier «?la mort de Dieu?» enterré prématurément par Nietzsche. À moins que le courant individualiste et éclectique illustré par la fascination de l’Occident pour le bouddhisme ou le vedanta, ne conduise de plus en plus d’individus à se faire une religion à la carte. Ou que la tendance au syncrétisme ne mène dans un lointain avenir à l’avènement d’une religion universelle?; laquelle selon Einstein sera une religion cosmique qui devra éviter les assertions dogmatiques réfutées par la science. Ces scénarios excluent l’hypothèse d’une disparition de la religion. L’homme porte en effet en lui une angoisse existentielle que ne pourra jamais satisfaire la science expérimentale. Sur un autre plan, l’idée que l’homme n’est qu’une étape de l’évolution vers un être supérieur formulée par des penseurs comme Nietzsche, Sri Aurobindo, Teilhard de Chardin et Carl Jung est en passe de devenir réalité. Cet «?homme augmenté?» ne sera cependant pas le produit d’une sélection naturelle. Pour «?devenir ce qu’il est?», selon les termes de Nietzsche, l’homme prendra le relai de la création de la main de Dieu. La convergence des biotechnologies, du génie génétique et de l’informatique laisse en effet prévoir la naissance d’une post-humanité comptant parmi ses rangs des «?homo deus?» (titre de l’ouvrage de l’historien israélien Yuval Noah Harari) presque immortels et jouissant d’une capacité intellectuelle infiniment supérieure à la nôtre. On peut se demander dans ces conditions quel sera le sort de nos religions actuelles et quelle place occupera la foi dans un monde de plus en plus «?désenchanté?». Il faut espérer que le nouvel homme cloné, cybernétique et asexué décrit par Houellebecq dans Les Particules élémentaires ne soit pas dépourvu de cœur, ce qui signifierait également la mort de la spiritualité, de l’amour et de l’art. Mais il est probable que la post-humanité qui apparaîtra au cours du troisième millénaire aura pour nos religions le même regard que celui que nous jetons aujourd’hui sur les divinités de l’Égypte antique et ses livres sacrés.
 
 
L'Orient-Le Jour
« Il faut espérer que le nouvel homme cloné, cyber-nétique et asexué ne soit pas dépourvu de cœur. »
 
2020-04 / NUMÉRO 166