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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Ziad Majed
2018 - 08
Trois mois après les crimes de guerre commis par son armée dans la Ghouta de Damas, six semaines après le rapport néerlandais pointant sa responsabilité dans la catastrophe de l’avion civil abattu en Ukraine, et pendant que ses bombardiers incendiaient Deraa, la Russie a organisé l’événement sportif et médiatique le plus attendu de la planète. Il n’a pas été boycotté malgré les appels des organisations de droits humains et la menace de l’Angleterre. Cette dernière incriminait les services russes dans la tentative d’assassinat d’un agent double à l’arme chimique sur son territoire. 

La question est loin d’être simple. Comment en effet boycotter une coupe du monde de football tant attendue par des milliards de personnes avec la joie et la passion d’un jeu qui suscite le plus d’émotions partout où il est suivi?? Comment surtout faire fi des nombreux lobbies des sponsors et de la pression de la FIFA, l’un des plus grands empires des temps modernes??

La coupe du monde 2018 s’est donc maintenue et déroulée dans le pays de Poutine. Comme à chaque fois, elle a produit des surprises, des rebondissements et un superbe couronnement. Au final, on retiendra, s’il le fallait, trois phénomènes révélés lors de cette compétition.

Le triomphe de la tactique et de l’antijeu
Depuis 2006, le réalisme footballistique s’est consacré comme principale philosophie de jeu chez la plupart des équipes. Moins de créativité et de liberté et plus de discipline et de similitudes dans les styles de jeu, empreints surtout par les expériences des championnats européens où évoluait la majorité des joueurs des grandes sélections. En 2018, au cœur même de ce réalisme et ses styles, on a assisté à la montée en puissance de l’antijeu. L’objectif?: déjouer l’adversaire, le frustrer et l’empêcher de multiplier les occasions, pour au moins arracher le match nul lors de la phase de pouls, et aller enfin aux séances de tirs aux buts au deuxième tour.

Ce réalisme et les tactiques qui en découlent, dont l’antijeu, ont mis fin aux clivages historiques entre les écoles de football européennes et latino-américaines et ont ôté toute saveur aux matchs, avec peu d’occasions et de folie, mais avec de l’imprévisible de dernière minute. Car c’est surtout au moment où la fatigue et la baisse de concentration s’abattent en fin de match que les joueurs les plus rusés arrivent à trouver des failles chez l’adversaire.

La surpuissance financière et sportive de deux championnats 
Le mondial en Russie a illustré la surpuissance des championnats anglais et espagnols. Toutes les stars des équipes nationales qui ont joué à partir des quarts de finale (mis à part le Français Mbappé et le Brésilien Neymar) évoluent dans ces deux riches championnats.

Mais contrairement à 2006, 2010 et 2014, l’Angleterre a profité cette fois de la compétitivité de son championnat pour atteindre sereinement les demi-finales. L’Espagne a par contre sombré dès le deuxième tour face à l’athlétisme des russes et leur antijeu, se faisant éliminer lors de la séance de tirs aux buts. Le manque de fraîcheur de ses joueurs (plus de la moitié a eu une très longue saison avec le Real, l’Atlético, le Barça et Séville, vu leurs matchs européens) a certes été en cause. Toutefois, c’est surtout le conflit entre le surpuissant Real et la fédération espagnole, privant la sélection nationale de son entraîneur 48 heures avant son premier match, qui lui a porté le coup fatal.

L’exception française 
Après leur élimination en 2014 face à l’Allemagne et leur défaite en finale de la coupe d’Europe en 2016 face au Portugal, par naïveté et fautes de marquage, la maturité a enfin permis aux bleus de remporter la coupe du monde. Avec ses deux étoiles, la France est ainsi devenue une nation de football. Zidane et la génération de 1998 ne sont plus les seuls décorés.

Le plus intéressant, c’est que la France a fait figure d’exception durant cette compétition. Exception avant tout sportive, du point de vue de la qualité de l’encadrement et la politique de formation de ses joueurs, presque tous formés dans l’Hexagone avant leur départ pour les grands clubs d’Europe. Mais aussi une exception socio-culturelle car son équipe était la plus métissée de la compétition. «?Métissée?» au regard des origines des parents d’une partie des joueurs, alors que ces derniers sont et se revendiquent français. Car nés en France ou arrivés petits, ils ne doivent leur succès qu’à leur talent, au recrutement et à la formation nationale. Il importe par conséquent de mettre hors sujet tout discours «?africanisant?» cette équipe par racisme, ignorance ou par antiracisme valorisant les identités d’origine tout en occultant les éléments sportifs, culturels et émotionnels qui construisent le socle commun français des joueurs.

Les bleus ont fort justement su se tenir à l’écart de ce débat pour mener à bien leur campagne. Ils ont su remporter le trophée sans toujours proposer du beau jeu. Pogba, Mbappé, Umtiti, Kanté, Varane et Griezman étaient au rendez-vous pour associer individualité, vitesse et discipline collective. Leur finale contre la combattive et belle équipe croate fut la démonstration du football qui règne aujourd’hui?: de moins en moins esthétique et de plus en plus tactique et efficace.

Vivement la prochaine coupe?!
 
 
D.R.
« En 2018, on a assisté à la montée en puissance de l’antijeu. »
 
2020-04 / NUMÉRO 166