Par Jean-Claude Perrier
2019 - 07
L’incendie de
Notre-Dame de Paris, le 15 avril, a représenté pour la France entière un choc
inouï et un traumatisme comparable aux attentats terroristes, même s’il est
avéré que l’événement n’a eu que des causes accidentelles. Le monde entier,
également, s’est ému, et mobilisé. Parce que cette cathédrale n’est pas qu’une
église, elle est un des symboles de notre pays, à la fois historique,
spirituel, artistique, sentimental et littéraire. Et en cela, elle est unique.
Il n’est pas d’autre église au monde qui ait inspiré un chef-d’œuvre à son nom,
Notre-Dame de Paris, à un grand écrivain, Victor Hugo, en 1831, à une époque où
on a un peu tendance à l’oublier, l’art gothique était considéré comme
« barbare », le Moyen-âge comme une période de ténèbres, et où les édifices de
ces temps-là , châteaux, abbayes et cathédrales, ont été largement détruits ou
mutilés. Il a fallu attendre un peu, Mérimée et Viollet-le-Duc, pour que la
notion de patrimoine naisse et englobe les monuments rescapés de toute notre
histoire métisse, depuis les Phéniciens, les Grecs, les Gaulois, les Romains…
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Notre-Dame de
Paris s’est vendu en collections de poche, ces dernières semaines, comme des
petits pains. De même, les éditeurs ont remis en vente nombre de livres
d’histoire, albums illustrés, anthologies consacrés à l’illustre vieille dame
mutilée.
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Mais trois
écrivains, particulièrement touchés par ce drame, sont allés plus loin,
écrivant et faisant publier, dans l’urgence, un petit livre « à chaud »,
témoignant de leur émotion, racontant leur vécu avec l’église. Deux Français,
Sylvain Tesson et Adrien Goetz, et un Gallois, Ken Follett. Les bénéfices des
éditeurs et les droits d’auteur de ces livres seront reversés à la Fondation du
Patrimoine, destinés à la restauration de Notre-Dame.
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L’écrivain-voyageur
Sylvain Tesson, qui habite tout près de Notre-Dame, a une histoire particulière
avec la cathédrale : il l’a escaladée plusieurs fois, à mains nues, en toute
illégalité, après pas mal de libations, en compagnie d’autres amateurs de hors-piste.
Il en connaît donc chaque détail, qu’il a touché de ses propres mains, auquel
il a collé son corps. Et ce, sans aucun esprit anarchiste ni irrespectueux.
Juste le goût de l’aventure, de la transgression, du dépassement de soi-même.
Tesson raconte également que c’est Notre-Dame qui, après le très grave accident
où il a failli rester, lui a « sauvé la vie ». C’est en gravissant les
escaliers de ses tours qu’il a commencé sa rééducation. Son recueil rassemble
trois textes, de 2005, 2017 et 2019, où il parle, après l’incendie, de
« conversion », et confie : « Je n’irai plus gaudrioler sur le toit des
églises. »
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Professeur
d’histoire de l’art à la Sorbonne, spécialiste de la période romantique, Adrien
Goetz a suivi en direct l’incendie du 15 avril, de 19h02, l’heure à laquelle il
s’est déclaré, jusqu’à 3 heures du matin le lendemain, heure à laquelle il a
été enfin éteint par les pompiers. Après avoir fait le récit de ce dies
horribilis, Goetz contextualise l’événement, retrace l’histoire la construction
de la cathédrale et, en particulier, celle de sa flèche, ajoutée par
Viollet-le-Duc en 1865, et dont l’embrasement et l’effondrement ont constitué
une espèce de drame dans le drame. « La cathédrale défigurée ressemble
aujourd’hui à Quasimodo », note-t-il joliment. Ensuite, en spécialiste, il
prend position dans la polémique si franco-française concernant la restauration
de l’édifice, à l’identique ou modernisé, avec ou sans flèche, et quelle
flèche ? Une copie de celle d’époque, ou une autre, conçue par un architecte
d’aujourd’hui ? Pour Adrien Goetz comme pour la plupart des architectes,
conservateurs du patrimoine, archéologues et techniciens, aucun doute : on
doit, et on peut reconstruire à l’identique, y compris la flèche. Le président
de la République, Emmanuel Macron, a déclaré, volontariste, que cela prendrait
cinq ans. Ce n’était sans doute pas raisonnable.
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En tant qu’auteur
des Piliers de la terre, le romancier britannique Ken Follett connaît
parfaitement les cathédrales du Moyen-âge, leur histoire et aussi leurs
techniques de construction. Rien qu’à ce titre, l’incendie de Notre-Dame ne
pouvait pas ne pas le toucher. Il l’a suivi en direct à la télé, depuis sa
maison du pays de Galles. Et quand son éditrice l’a appelé pour lui demander
d’écrire un texte sur l’église, son histoire et le drame qui vient de la
frapper, il n’a pas hésité un instant. Son livre nous plonge dans l’histoire de
Notre-Dame, quelques grands moments de sa longue vie, et aussi la relation
qu’il entretient avec elle. De 1163 jusqu’à nos jours, en passant par 1831 et
le roman de Hugo, ou le Te deum célébrant, le 26 août 1944, la victoire du pays
sur l’occupant allemand.
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Dans ses Piliers
de la terre, Ken Follett célébrait les bâtisseurs de cathédrales. Il en existe
toujours aujourd’hui, de ces fiers artisans, qui s’affirment prêts et motivés
pour relever ce formidable défi : rebâtir « la forêt » de poutres, refaire la
toiture, et la couronner de sa flèche. Une œuvre collective, à laquelle les
écrivains auront contribué, à leur façon. Et une épopée qui, le moment venu,
inspirera certainement bien d’autres livres.
BIBLIOGRAPHIE
Notre-Dame de
Paris, Ô reine de douleur de Sylvain Tesson, Équateurs, 2019, 95 p.
Notre-Dame de
l’humanité d’Adrien Goetz, Grasset, 2019, 74 p.
Notre-Dame de Ken
Follett, traduit de l’anglais par Odile Demange, Robert Laffont, 2019, 72 p.Â