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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Georgia Makhlouf
2008 - 03
On entre dans le dernier livre d’Erik Orsenna sur la pointe des pieds en se demandant si on reconnaîtra l’écrivain qui a décidé de tomber le masque, de parler de lui sans détours. Et on le reconnaît sans peine. Il a toujours cette même mélancolie, ce même humour tendre, cette même pudeur alors qu’il aborde un chapitre douloureux de sa vie.

L’intrigue?? Un homme a aimé une femme avec ferveur pendant quatre ans avant qu’une maladie la lui enlève. Depuis, il la cherche. Dans la mémoire, dans les lieux, dans les mots, dans son espace intérieur. Cette quête le mobilise entièrement et il parcourt la vie avec cette question lancinante?: «?Où, où sont les morts après la mort et particulièrement les morts âgés de quarante-deux ans, qui ressemblent au soleil et qui sont dotés de deux yeux bleus???»
On l’aura compris, ce livre étrange est un livre sur la mort, ce «?grand secret?» sur lequel «?tous les êtres humains douloureusement s’interrogent?» et ce depuis la nuit des temps. Mais le narrateur n’en a cure, et cette quête du lieu mythique sera son Graal.

Avant cette rencontre, le narrateur était pourtant l’homme des «?amours morcelées?», alors que son frère cadet était l’homme de l’ «?amour unique?». Mais c’était avant. Avant l’arrivée dans sa vie d’un être lumineux, «?un soleil perché sur des jambes de danseuse?», «?un soleil généreux, un soleil inventif?». Les quatre années de leur aventure commune sont à peine racontées, car ces quatre années n’ont pas d’autre histoire que «?ce mouvement, cette gaieté?; l’imprévisible et la liberté?». Ce qui est raconté, c’est la perte. Ce qui est raconté, c’est l’errance qui s’ensuit, l’andanza, mot espagnol qu’Orsenna lui préfère, et les questions qu’elle charrie. Le texte se parcourt donc comme un conte, un conte philosophique où l’on croise Orphée et Eurydice, Mitterrand (lui-même engagé dans une quête analogue durant sa traversée de la maladie), le Livre tibétain de la Vie et de la Mort, Port-Royal et Louis XIV, ce roi tout-puissant de la nation la plus riche d’Europe que dérangeaient les cadavres et qui leur fit la guerre. Ou encore Paul Ricoeur dont Orsenna cite cette pensée lumineuse?: «?La promesse n’est pas seulement au futur, elle était le futur du passé. C’est ce que je viens d’appeler le futur antérieur.?» Pensée qui enchante le narrateur. Il en conclut que sa femme s’était installée avec armes et bagages dans le royaume de la promesse. Et qu’elle lui passait le relais afin qu’il tienne la promesse qu’avait été sa trop courte vie.

Quant à l’énigme du titre (pourquoi donc La chanson de Charles Quint??), elle ne sera dévoilée qu’à la toute fin. Gardons donc le mystère entier, pour le plus grand bonheur du lecteur?!

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
La chanson de Charles Quint de Erik Orsenna, Stock, 2008, 193 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166