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Poésie
Vivre poétiquement dans le monde
Le monde entre dans les mots de Lucien Suel sans crier gare. Ou est-ce l’inverse ? Poèmes à dire et à écouter, poèmes à sourire : la poésie chez lui est une attitude et une humeur.

Par Ritta Baddoura
2014 - 08
Je suis debout, l’anthologie que publie La Table ronde, se compose de poèmes écrits entre 1990 et 2014, déjà publiés ou inédits. L’impression qui reste après la lecture de Je suis debout est une joie et la liberté de vivre poétiquement dans le monde d’aujourd’hui, en traversant les formes : « I want to live poetically dans le monde comme un poème, poème du monde ». Si certains procédés caractéristiques de la Beat generation – notamment le cut-up et les coulées verbales beat – si chère à Lucien Suel jalonnent l’ouvrage, les mots du poète s’habillent de vers justifiés, de haïkus, de prose, de tweets, ou de sonnets sans le moindre complexe. Qu’importe. La fluidité et la spontanéité du verbe sont toujours au rendez-vous.

Poète, romancier et traducteur, Lucien Suel est né en 1948 à Guarbecque, dans les Flandres artésiennes. Il a notamment édité The Starscrewer, revue consacrée à la poésie de la Beat generation et La Moue de Veau, magazine dada punk. Il continue de partager les sonorités de son écriture lors de performances, accompagnées ou pas de musiciens, où ses jeux de voix ne font que conforter l’ample souffle et la persistance créative et généreuse d’une part d’enfance chez ce poète. Les poèmes de Suel ont pour nerfs l’humour et l’émerveillement face au familier, même lorsque la tristesse ou la nostalgie y posent leurs empreintes.

« De la maison, je vois le jardin. Je sors de la maison pour entrer dans le jardin. Du jardin, je vois la maison./ (...) Je me couche dans la luzerne entre les draps blancs et bleus du ciel au milieu des âges. Des visages souriants me regardent./ Larme à l’œil, je récite les noms de ceux qui me précédèrent, me parlèrent au berceau ou dans les livres d’images./ (...) Assis comme un nuage stagnant sous le soleil au centre du jardin, je dilate mes molécules sans me soucier du nombre d’Avogadro./ Je vis la quotidienneté en continu./ (...) Je soulève un coin de tapisserie pour révéler l’évidence ; le monde est poème est monde, le poème est monde est poème. (...) ».

Lucien Suel décrit les choses ordinaires, les changements banals ou événements marquants qui s’installent et font une époque, et les traces que laissent le temps et les êtres. Les terrils du nord, les proches bien-aimés, les considérations qui pèsent sur l’environnement, le rock et le jazz, le cinéma et les poètes beat, le potager, la jungle et les paysages urbains, habitent également ses poèmes. Suel, entre réflexion engagée et verve spontanée, parle du rapport de l’homme au monde par le biais de sa relation à son milieu immédiat. Grand voyageur du quotidien, il démultiplie la temporalité et le lieu en changeant de perspective et délocalisant son regard et son ressenti sur les éléments les plus coutumiers. Sans jamais mettre son héritage personnel et celui universel aux oubliettes, Lucien Suel est non seulement debout, mais avance avec le monde.

« (...) Enfin je deviens moi-même le poème. Créateur créature, je suis parlé, soufflé, animé. (...) Zoom sur l’âme de la muse/ BANG dans le silo, bombes, carottes, fusées, pétrole, papier, peau, humus, os, poils, craie, chlorophylle, jour, nuit, gel, orage, ozone dans la zone./ (...) Les facteurs, mineurs, ermites, plombiers zingueurs, artistes, sourciers, guérisseurs, charbonniers, chanteurs, retraités, jardiniers, maçons, ouvriers, fous et bien portants, habitent poétiquement notre terre/ Les cinq doigts de la main tendus vers le jardin,/ Tout à fait par hasard, c’est un alexandrin. (...) ».

Je suis debout de Lucien Suel, La Table ronde, « Vermillon-Poésie », 2014, 300 p.
 
 
D.R.
 
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