FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Entretien
Zeina Saleh Kayali?: une passion toujours vive pour la musique


Par Georgia Makhlouf
2020 - 03
En 2011, Zeina Saleh Kayali pose la première pierre de l’immense chantier qui est le sien avec la publication de Compositeurs Libanais des XXe et XXIe siècles (Séguier). Son ambition est de communiquer aux lecteurs la curiosité de découvrir ces compositeurs, aux interprètes le désir de les jouer, aux éditeurs la nécessité de les publier et aux directeurs de salles de concerts et de festivals, l’urgence de les programmer. Il s’agit donc de susciter un vaste mouvement de mobilisation en faveur d’un patrimoine musical d’une incroyable diversité, riche de courants et d’influences multiples. En 2015, elle poursuit avec son ouvrage La Vie musicale au Liban de la fin du XIXe siècle à nos jours (Geuthner), une histoire de la musique libanaise, ses personnages clés, ses institutions, ses avancées et les tragiques répercussions de la guerre civile sur son rayonnement. En 2016, elle publie les quatre premiers volumes d’une collection originale intitulée «?Figures musicales du Liban?» (Geuthner), volumes consacrés à Béchara el-Khoury, Naji Hakim, Zad Moultaka et Gabriel Yared, suivis en 2018 par un volume qui met en lumière Wadia Sabra. Viennent de paraître deux volumes consacrés à Toufic el-Bacha et Abdel Rahman el-Bacha, le père compositeur et son fils, connu surtout comme brillant interprète mais qui compose lui aussi. C’est donc l’occasion d’un entretien à bâtons rompus avec cette infatigable militante en faveur du patrimoine musical libanais, qui poursuit sa route contre vents et marées, avec un engagement, une générosité et un enthousiasme remarquables. 

Voici donc les 6e et 7e volumes de la collection «?Figures musicales du Liban?». Combien d'ouvrages encore pour compléter cette collection?? Y a-t-il un ordre particulier dans le choix des musiciens dont vous vous emparez??

Autant d'ouvrages que nous avons de grands musiciens. C'est-à-dire un nombre incalculable?! Tant que Dieu me prêtera vie et énergie, je continuerai?! Non il n'y a pas d'ordre particulier, mais j'essaie d'alterner musiciens vivants et décédés. Et bien sûr je donne la priorité à ceux qui ont confié leurs archives au Centre du patrimoine musical libanais (CPML). Je vais également essayer de donner la parole aux femmes dans des prochains volumes. Nous avons d'excellentes compositrices et de très grandes interprètes.

Quelles sont les difficultés les plus importantes que vous rencontrez lorsque vous vous attaquez à un nouveau volume?? L'accès aux archives personnelles de la personne ou de sa famille pose-t-il problème??

Quand la personne est vivante, c'est très facile. Elle vous fournit elle-même la matière. Quand elle est décédée, cela dépend effectivement du bon vouloir des familles. Donc malheureusement je devrais me passer d'écrire sur certains géants de la composition libanaise, n'ayant pas eu accès aux informations nécessaires.
 
Quelles sont vos plus grandes joies depuis que vous avez démarré ce travail de longue haleine??

La découverte est une joie immense, lever des pans de voile ignorés, faire des recoupements, découvrir tout un tas de choses sur le Liban du début du XXe siècle. C'est extrêmement excitant?! Mais ce qui me fait vraiment chaud au cœur, c'est l'amitié que j'ai développée avec les musiciens et leurs familles.

Une part importante du travail consiste dans la préparation du catalogue et des enregistrements sur clés USB. Pouvez-vous nous en parler?? Comment procédez-vous?? Comment choisissez-vous les enregistrements?? Les questions de droits compliquent-elles votre travail??

Je dois m'adapter et faire avec ce qui existe (ou n'existe pas?!). Le patrimoine musical libanais est encore en friche et beaucoup de musiques ne sont pas encore enregistrées. La question des droits peut compliquer le travail. Ainsi, pour l'ouvrage sur Naji Hakim, j'ai été obligée de me cantonner aux œuvres pour orgue et pour piano sur la clé USB car les maisons de disques demandaient des sommes astronomiques pour les œuvres orchestrales. Pour certains compositeurs, dont il n'existe pas d'enregistrements (Wadia Sabra, par exemple), j'ai pu grâce au CPML faire enregistrer des pièces spécialement pour la clé USB.

Depuis que vous avez commencé ce travail éditorial, vous l'avez accompagné par une intense activité d'organisation de concerts et d'événements de toute sorte. Les deux activités sont-elles nécessaires et nécessairement liées?? Le fait de les mener de front est-il facilitateur?? 

Ce travail de diffusion de la musique libanaise que je poursuis depuis 2006 doit forcément se constituer de plusieurs volets?: l'activité éditoriale en est un, bien sûr très importante. Mais les concerts, les articles et les conférences me semblent être tout aussi essentiels. Ceci sans compter le travail de rassembler, conserver et valoriser les archives des compositeurs libanais au sein du CPML. C'est un travail de fourmi, sur des années. Le but en est de faire rayonner notre patrimoine musical libanais par tous les moyens?!

Une figure traverse plusieurs ouvrages, celle de Bertrand Robillard. Parlez-nous de lui.

Il a joué un rôle crucial dans la vie musicale libanaise. Arrivé au Liban en 1930 comme organiste chez les Pères jésuites pour deux ans, il y est resté 34 ans, a épousé une Libanaise et a formé toute la génération des compositeurs libanais des années 1940-1960?: Boghos Gelalian, Toufic Succar, Georges Baz, Toufic el-Bacha, Gabriel Yared, les Frères Rahbani et j'en passe?!

Radio-Liban et le Festival de Baalbeck ont joué un rôle important pour le développement de la musique libanaise. Pouvez-vous revenir sur ce rôle??

La radio libanaise était un extraordinaire vivier artistique dans les années 1940-1960. La télévision n'existait pas et les concerts étaient rares. Donc c'est principalement à la radio que se déroulaient la plupart des créations musicales. C'est d'ailleurs à la radio que les frères Rahbani ont rencontré Feyrouz. Quant au festival de Baalbeck, de 1957 à 1975, il a été le principal (pour ne pas dire le seul?!) commanditaire de musique au Liban. Chaque année, il commandait une opérette originale au «?Groupe des 5?» composé des Frères Rahbani, Toufic el-Bacha, Zaki Nassif et Philemon Wehbe, mais aussi à Romeo Lahoud puis à d'autres. Il a donc contribué à la formation du patrimoine musical libanais et a facilité le déplacement du centre de la musique arabe vers le Liban, détrônant en cela l'Égypte qui en avait le monopole absolu.

On connaît essentiellement Abdel Rahman el-Bacha comme un immense interprète. Mais est-il également compositeur?? D'une œuvre qui mérite autant de louanges que celles qu'on adresse au pianiste??

Il est vrai que Abdel Rahman el-Bacha est surtout connu pour sa fulgurante carrière de pianiste et notamment pour le prix Reine Elisabeth de Belgique dont il a été lauréat à 19 ans, ce qui est exceptionnel. Mais son activité de compositeur, bien que beaucoup plus confidentielle, n'en est pas moins très intéressante?! Son œuvre est très personnelle, intimiste et attachante. Elle figure d'ailleurs dans son intégralité dans la clé USB qui accompagne l'ouvrage le concernant. Il est lui-même l'interprète de ses œuvres pour piano, mais son catalogue contient également de la musique de chambre et des œuvres orchestrales.

Quel sera le prochain volume??

Le prochain ouvrage, déjà en route, parlera de Georges Baz (1926-2012), compositeur et critique musical à la Revue du Liban pendant près de 40 ans. Sa veuve a confié ses archives (y compris tous ses articles?!) au CPML.

 
 
 

Figures musicales du Liban de Zeina Saleh Kayali, Geuthner, 2020?: 
- Toufic el-Bacha, 130 p.
- Abdel Rahman el-Bacha, 114 p.
 
 
D.R.
« Le festival de Baalbeck a contribué à la formation du patrimoine musical libanais et a facilité le déplacement du centre de la musique arabe vers le Liban »
 
2020-04 / NUMÉRO 166