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Al-Akhtal as-Saghir


Par Jabbour DOUAIHY
2009 - 04
Béchara Abdallah el-Khoury («?al-Akhtal as-Saghir?» tel qu’il s’est surnommé en hommage au grand poète omeyyade) est sans doute un poète à l’ancienne par la diversité des thèmes qu’il aborde et les «?poèmes de circonstance?» qu’il a consacrés à l’actualité politique et nationale de son temps. Une génération entière de nationalistes a appris «?sur le dos du cœur?», comme on dit dans la langue de Jahiz, l’éloge mémorable du poète libanais aux petites lunettes fines adressé au chef populaire égyptien Saad Zaghloul en apprenant sa mort subite qu’il trouve plus calamiteuse que le débordement du Nil ou l’ébranlement des pyramides… La composition monothématique (l’amour, surtout l’amour, la poésie de jactance, l’élégie à la mémoire d’Ahmad Chawki, le «?prince des poètes?» ou du prince Fayçal d’Arabie lui-même ou l’hommage d’une ville, Zahlé, l’amie des poètes, en l’occurrence, et aussi cette unique tradition des poèmes bachiques sous la plume de celui qui vouait un véritable culte à «?la fille de la vigne?») confirme, avec le respect des rimes et de la métrique, une certaine continuité dans la poésie d’al-Akhtal as-Saghir avec le répertoire des grands poètes abbassides sans omettre la douceur de l’inspiration dans la droite ligne de la tradition andalouse. L’on ne peut, à cet égard, que signaler que l’autre grand poète néoclassique, originaire de la même Zahlé, s’est chargé, après une rivalité très compréhensible, de réunir ses poèmes et de les préfacer en ces termes?: «?Tout comme il est impossible de retenir le djinn dans un flacon, il n’y a pas de définition pour cerner celui qui a pu réunir des millions de sensibilités sur l’amour de la beauté.?»

Pourtant, le poète de L’Amour et la Jeunesse (al-Hawa wal chabab) immortalisée par l’autre grand chanteur égyptien, Mohammad Abdul Wahab, tout comme Farid al-Atrache ou Feyrouz ont popularisé ses meilleurs poèmes, est tout autant moderne. Par la grande délicatesse de ses touches, la grande simplicité de certains sonnets emblématiques de l’amour courtois et même sensuel. Il exprimera par ailleurs une manière de spleen existentiel aux couleurs sombres qu’il essaiera de dépasser incessamment par une fugue vers le «?paradis?» de l’amour ou la griserie du vin.

Né à Beyrouth en 1885 au sein d’une famille nombreuse, il a côtoyé au collège de La Sagesse Gibran Khalil Gibran avant de se lancer dans le journalisme de combat avec L’Éclair dont les locaux se transformeront en club antiottoman. Avec la débâcle turque, il se lance maladroitement dans la vie politique pour revenir à son premier amour. Il mourra en 1968 après avoir gravé dans les mémoires le dernier poème déclamé au siège de l’Unesco à Beyrouth à l’occasion d’un hommage qui lui était rendu par ses pairs et qui débute par l’admirable aveu du tarissement de son inspiration?: «?Fallait il attendre que je sois sans ma lune ni mon soleil pour que l’on vienne jouer sur un luth (oud) sans cordes???» Comme le dira Saïd Akl, le roucoulement des rossignols a déserté les branches des arbres avec son départ. 


 
 
© an-Nahar
Il exprimera une manière de spleen existentiel aux couleurs sombres qu’il essaiera de dépasser par une fugue vers le « paradis » de l’amour ou la griserie du vin
 
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