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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Antoine BOULAD
2008 - 02
En 2004, les éditions de la Revue phénicienne ont publié les œuvres poétiques de Charles Corm en dix tomes dont seuls les trois derniers n’étaient pas inédits et dont La Montagne inspirée constitue la pièce maîtresse. Parue en 1934, ayant reçu le prix international de poésie Edgar Allan-Poe à Paris en 1935, rééditée par les soins de l’auteur lui-même en 1964 puis une troisième fois en 1987, cette œuvre exaltée résiste-t-elle aujourd’hui à l’épreuve du temps??

Signalons tout d’abord que les poèmes de La Montagne inspirée trouvent leur véritable acte de naissance dans la proclamation du 1er septembre 1920 par le général Gouraud, Haut-Commissaire de la République française, commandant en chef de l’armée du Levant, qui salue la «?grandeur?» et la «?force?» du grand Liban.

En écho à cet événement historique majeur au Levant, le recueil apparaît comme fondateur de la conscience libanaise, invoquant les dieux (Bal-Shamin, Adonis, Astarté) et les mythes phéniciens, depuis la prodigieuse invention de l’écriture – «?langue de l’âge d’or, genèse de tous les alphabets?» jusqu’à l’exploration de l’Afrique et de l’Amérique («?deux mille ans avant les Portugais et bien avant qu’Améric mît son œil de cyclope au sommet de ses mâts?») – évoquant les gloires de l’histoire («?Fakardin fut notre Louis Quatorze?») et ceux de la nature («?Sannine, Hermon, sommets qui semblent la nuit respirer les étoiles?»), sans oublier les lieux immémoriaux de la civilisation, «?Colonnes de Balbeck, grille du feu solaire?», «?Nahr Ibrahim dont tressaille l’argile?». 

Inspirée par les nombreuses évocations bibliques du Liban, cette grandiloquence qui faisait écrire à son auteur des «?cataractes de diamants, orages de topaze et tempêtes de perles?» n’était déjà plus, en 1934, dans l’air du temps sur lequel avaient soufflé Baudelaire et Rimbaud. La langue poétique qu’emploie Corm pour chanter les louanges du Liban des temps modernes ressemblait déjà à un temple que les trompettes de la révolution surréaliste allaient bientôt faire vaciller. Faut-il rappeler que Poésie I de Georges Schehadé date de 1938?! Que ces mêmes montagnes où «?les troupeaux parlent avec le froid?», dans ces mêmes jardins «?par où commencent les songes de folie?», lui inspiraient à la même époque une poésie ineffable, «?une pensée intouchable?». 

Soixante-quinze ans après la publication de La Montagne inspirée, le Liban baigne encore dans ses eaux amniotiques faisant toujours face aux douleurs de l’enfantement et aux vicissitudes de l’histoire. Somme toute, le lecteur d’aujourd’hui n’a que faire du roi Ahiram et des allégresses dionysiaques. Enraciné dans cette terre millénaire, il souhaite renouveler sa vision de l’avenir. Il souhaite le dire avec des mots «?qui ont un goût de baisers libanais?».


 
 
D.R.
La langue poétique de Corm ressemblait déjà à un temple que les trompettes de la révolution surréaliste allaient bientôt faire vaciller
 
2020-04 / NUMÉRO 166